Une simple pomme contient l’univers tout entier : graine, soleil, pluie, terre, abeilles, pommier, verger et main experte du paysan qui l’a cueillie, déposée dans un panier, transportée puis vendue avec fierté. Si c’est une pomme issue de culture intensive, ayant subi plus de 30 traitements chimiques et cueillie par une machine, mise en cageot en usine puis négociée à bas prix en supermarché, on a plutôt envie d’oublier ! Pourtant peut-on vraiment se nourrir sans prêter attention à sa nourriture ? Qu’est-ce que j’ingère quand je mange ? À quoi est-ce que je participe ? Quel homme, quelle terre derrière les étiquettes ? Il n’est pas congruent de déplorer la pauvreté et l’injustice sociale, de désirer une autre économie et de se faire complice du monde de l’argent en cherchant à payer toujours moins cher.
Manger serait donc un acte politique ?
Oui tout comme cuisiner. Cuisiner soi-même ou acheter des produits transformés, c’est faire un choix de société. Se fournir sur un marché de petits producteurs ou dans un supermarché aussi. Les sols deviennent stériles, les abeilles meurent, les poules élevées en batteries aussi, les commerces de proximité disparaissent… Nous savons tout cela, mais nous nous empressons bien vite d’oublier au moment d’acheter notre steak au supermarché, car nous n’avons pas envie de nous sentir responsables de ces drames. S’en souvenir et agir demande du courage, mais cette responsabilité d’être aidants pour l’homme et la planète, nous apporte aussi bien plus de bonheur que l’impuissance. C’est en soi un vrai acte politique !
La nourriture peut-elle avoir aussi un impact sur nos comportements ?
Mon métier m’a amenée à m’interroger sur l’influence de la nourriture sur notre psychisme. J’ai découvert combien des aliments comme les gâteaux, le sucre, l’alcool que nous utilisons comme antistress, stressent au contraire notre organisme. J’ai aussi constaté combien la nourriture industrielle peut affecter notre psychisme. Face à des troubles du comportement des enfants ou des adultes (hyperactivité, agressivité, problèmes de concentration, dépression…), je conseille de se poser systématiquement la question des aliments. On sait par exemple aujourd’hui que le sucre stimule la production d’opioïdes naturels dans notre cerveau (d’où les réactions de dépendance ou de manque), que certains additifs comme le benzoate de sodium (E211) augmentent le comportement hyperactif des enfants ou diminuent leurs capacités d’attention et que l’équilibre entre oméga-3 et oméga-6 est fondamental au bon fonctionnement cognitif. Enfin l’intolérance au gluten ou aux produits laitiers est une réalité qu’il ne faut pas ignorer. Chez certaines personnes l’éviction de ces aliments peut donner des résultats spectaculaires en quelques jours sur le comportement (concentration, énervement…).
Que pouvons-nous apprendre sur nous-même ou partager avec l’autre en cuisinant ?
Avoir vu quelqu’un faire la cuisine n’est pas suffisant pour savoir cuisiner. On peut ne pas « oser » cuisiner parce que nos premières expériences ont été moquées. Or cuisiner c’est d’abord échouer beaucoup et chaque erreur nous rapproche de la perfection. Après un essai raté en cuisine, plutôt que de se décourager (je suis nul, c’est trop compliqué), ou de déduire une croyance (c’est pas pour moi, c’est pour les femmes au foyer), de minimiser (c’est pas grave, c’est mangeable), d’accuser autrui (tu ne m’as pas dit de remuer !), il s’agit d’écouter ce que l’échec nous dit : « Pourquoi cela n’a-t-il pas marché ? La prochaine fois je pourrai faire comme cela… » La cuisine est un lieu parfait pour lâcher les croyances qui limitent la créativité (c’est ainsi qu’il faut faire, ceci se marie avec cela, etc.). C’est aussi un lieu de vie, propice aux confidences avec les enfants et adolescents notamment. Vous remarquerez qu’ils se confient bien plus volontiers à nous lorsque l’on a les mains occupées que lorsque l’on reste les yeux dans les yeux !
Que conseillez-vous à ceux qui n’aiment pas cuisiner ?
Notre goût pour la cuisine est forgé par nos souvenirs d’enfance. Des sentiments apparents comme l’ennui couvrent souvent d’autres émotions inconscientes telles que la colère réprimée (« ma mère m’interdisait de rentrer dans la cuisine », par exemple). Pour aimer cuisiner, nous avons besoin d’en avoir reçu la permission ou d’avoir su transgresser l’interdit (souvent de la fille envers la mère). Parfois, le refus de cuisiner est lié au parent cuisinier auquel on ne veut surtout pas ressembler ! Si par exemple on a eu une mère cuisinière qui se positionnait en victime, on n’a pas tellement envie de se mettre aux fourneaux ! Ou si enfant, des réprimandes régulières ont eu pour cadre la cuisine, une fois adulte c’est un lieu qu’on évitera. Aussi lorsque ne pas aimer cuisiner est lié à notre histoire, il est important d’en prendre conscience afin de s’en libérer et de restaurer le contact avec la préparation du repas ainsi qu’avec soi-même. Ne pas prendre plaisir à cuisiner, c’est un choix mais c’est aussi se couper d’une part importante de notre dimension humaine : être créateur et acteur plutôt que simple consommateur.
> À lire : Un zeste de conscience dans la cuisine, d’Isabelle Filliozat (Marabout). Par des exercices pratiques pour méditer en préparant les repas, l’auteure nous interroge sur nos sentiments en cuisine, l’impact des aliments sur notre santé et nous livre ses meilleures recettes.