Une réunion qui avait lieu le 27 mai ŕ l’initiative de l’Association des journalistes professionnels de l’aéronautique et de l’espace (AJPAE) a soulevé en moi une multitudes de questions auxquelles j’avais déjŕ tenté de répondre dans divers articles parus ou ŕ paraître en prélude au salon aéronautique du Bourget (du 15 au 21 juin prochain).
Quelle sera la progression du trafic aérien pour la décennie ŕ venir ? Comment les compagnies aériennes –notamment les européennes historiques (les legacies)- vont devoir faire face ŕ un nouveau modčle économique qui ne laisse plus la place ŕ une gestion intégrée qui pouvait servir quatre cibles commerciales différentes. Le court courrier (c’est la navette entre deux villes avec une fréquence élevée), le moyen courrier (aujourd’hui attaqué par les low cost de maničre trčs frontale ce qui conduit les legacies ŕ se restructurer et ŕ créer leurs propres filiales low cost), le long courrier, segment sur lequel la concurrence repose sur une logique de séduction des passagers. Pour Stéphane Albernhe président de la société de conseil Archery, il ne faut pas se voiler la face, le terrain de combat des compagnies aériennes est celui du long courrier sur lequel la classe affaires (dans une moindre mesure la Premičre classe), avec des passagers dits ŕ haute contribution est prépondérante pour assurer la rentabilité des vols. Enfin, le quatričme segment concerne les liaisons spécialisées, ŕ savoir les compagnies qui se spécialisent sur une région en assurant un nombre de liaisons origine-destination assez restreintes mais oů elles sont trčs performantes.
Ces quatre segments, affirme Stéphane Albernhe, font appel ŕ des business models qui sont aujourd’hui totalement différents Ť et on ne peut pas servir quatre modčles différents avec la męme approche, c’est une erreur stratégique ť. D’autant moins que la concurrence a mis en place des réponses dédiées, qu’elles soient par voie aérienne ou par voie ferroviaire avec des trains ŕ grande vitesse qui affectent notamment le court courrier.
Les compagnies historiques européennes, qui ne disposent pas comme les américaines d’un outil comme le Ť Chapter 11 ť pour effacer leur dette, ŕ savoir Air France-KLM, Lufthansa, British Airways et Iberia, commencent ŕ prendre des mesures en ce sens, mais Ť pour survivre, il leur faudra nouer au moins une alliance chacune avec les compagnies du Golfe pour rester dans la course ť.
Les compagnies aériennes européennes historiques, nous l’avons compris sont dans la tourmente. Leurs patrons je pense en sont conscients, notamment lorsqu’on reprend les propos d’Alexandre de Juniac, le patron d’Air France-KLM affirmant que le redressement de la compagnie franco-néerlandaise va ętre douloureux.
C’est en quelque sorte ŕ une fuite en avant ŕ laquelle sont soumis ces transporteurs aériens historiques. Et pour ne prendre en exemple qu’Air France-KLM, on peut rappeler les initiatives prises depuis plus ou moins longtemps. Tel l’élargissement d’un modčle low cost qui existait chez KLM ŕ l’entreprise française en instituant Transavia ou encore en revoyant le modčle du transport court courrier en élargissant le rayonnement de la marque Hop ! Air France ŕ partir de l’aéroport d’Orly vers les régions françaises entre les régions voire męme vers l’Europe proche.
Sur le long courrier, insiste Stéphane Albernhe, le nerf de la guerre est la business class génératrice de cash. Et c’est pourquoi il estime que pour ne pas laisser passer ce créneau, les compagnies européennes vont devoir s’allier avec d’autres compagnies qui ont su mettre ŕ profit cette classe affaires en offrant un confort incomparable. Il est évident que dans ce domaine, ce sont des compagnies du Golfe telle qu’Emirates ou d’autres encore plus lointaines telle que Singapore Airlines qui remportent la palme.
Un graphique présenté par Yan Derocles, analyste aéronautique chez Oddo Securities et qui était un des invités de l’AJPAE, montre clairement les postes qui plombent les comptes de la compagnie … presque nationale (le gouvernement de Manuel Vals n’a t-il augmenter de 1,5 % sa participation au capital du transporteur pour la porter ŕ 17,58 % ce qui lui permet d’exercer des droits de vote doubles). Si le poste carburant est trčs élevé, le poste le plus lourd est celui du coűt du personnel. Et si l’on compare l’éclatement des coűts supportés eu égard aux capacités offertes tant par Air France-KLM que par Emirates, pour la compagnie franco-néerlandaise, le coűt du personnel est deux fois plus élevé que pour Emirates, vient ensuite les taxes d’atterrissage et de gestion du trafic (en route charges).
Selon les deux spécialistes du transport aérien et de l’industrie aéronautique, l’analyse qu’ils font de la situation actuelle influencera lourdement le secteur aéronautique dans le proche avenir. La croissance du trafic aérien est lŕ, les taux d’intéręts sont bas, mais selon Yan Derocles, le coűt du carburant reste relativement élevé. Si bien que le renouvellement des flottes va toujours ętre d’actualité précisant męme que les compagnies aériennes vont renouveler leurs flottes d’appareils pour des avions plus économiques. Sur la période 2000-2010, les retraits d’appareils ont représenté 29 % des livraisons lesquels ont connu un pic de 40 % en 201-2013 ŕ cause d’un carburant élevé. Aprčs un point bas anticipé ŕ 25 % en 2015-2016, Oddo Securities anticipe une accélération des retraits ŕ partir de 2017 au profit d’achats d’appareils moins énergivore de type neo chez Airbus ou MAX chez Boeing ne sont pas pręts de faiblir. Tous les appareils sont concernés, mais il est évident que le nombre de court courrier monocouloirs constituant la majorité de la flotte mondiale, ce seront ce type d’appareils qui soutiendront les activités.
Avec pour corolaire un impact considérable sur la chaîne des fournisseurs qui devra persister dans ses gains de productivité afin de suivre l’augmentation des cadences de production des avionneurs.
Ť Un ramp-up ť sur lequel nous reviendrons prochainement.
Nicole Beauclair pour AeroMorning