J'aurais pu faire dire une messe anniversaire ce matin. Une messe du souvenir. Le souvenir du deuil de la démocratie, en ce 29 mai 2005. Ce jour-là, sans trop comprendre pourquoi, le peuple disait "NON" à la Constitution européenne, à l'occasion d'un référendum perdu d'avance. Comme un dernier soupir, un râle plutôt, d'une démocratie condamnée.
L'exclusion du peuple comme acteur de la décision politique dans notre pays ne remonte pas pour autant à cette date fatidique. Disons que ce 29 mai marque plutôt sa condamnation que sa fin car, si l'on veut être un tant soit peu rigoureux, c'est le vote du Congrès sur le Traité de Lisbonne qui scellera définitivement le sort de la démocratie française, à jamais confisquée par le personnel politique.
Depuis lors il ne reste au peuple qu'un hochet quinquennal, quasi révolutionnaire : le droit de faire tomber les têtes, jusqu'à la prochaine fois. Constitué pour mettre le peuple à l'abri des tensions partisanes, et permettre d'assurer la continuité de l'Etat, notre régime politique si sophistiqué a accouché d'une oligarchie jacobine à qui les non-abstentionnistes remettent le pouvoir absolu par cycles de 5 ans.
Le coup d'Etat permanent : Same player shoot again
En octobre 1962, Charles de Gaulle trouve enfin un avantage au fait que la Constitution de 1958 ait du sacrifier aux règles du régime parlementaire. L'opposition parlementaire, très remontée contre son projet de faire élire le Président de la République au suffrage universel, vote une motion de censure à l'Assemblée nationale. Pompidou alors Premier Ministre ne peut que présenter sa démission et celle de son gouvernement. Furieux, de Gaulle dissout l'Assemblée nationale et provoque des élections qui renforcent le pouvoir gaulliste.
Depuis, pus aucune motion de censure ne sera jamais adoptée par les députés. Les juristes appellent ça le "fait majoritaire", le pouvoir exécutif discipline la majorité parlementaire déjà très stable par le jeu du scrutin uninominal majoritaire à 2 tours. Les journalistes appellent ça "la godille", expression empruntée à de Gaulle lui-même qui tançait les parlementaires godillots :
Un godillot est ainsi un représentant élu du peuple qui va se présenter aux débats en séance parlementaire mais ne va participer que de façon mineure dans le seul objectif de voir voter par le législatif exactement ce que l’exécutif souhaite, au mépris de la séparation des pouvoirs établie par la Constitution.
cit. www.deputesgodillots.info
Ce qui pu faire dire à Guy Carcassonne, éminent professeur de droit public : "Ce qui manque au Parlement, ce ne sont pas des pouvoirs. Mais des parlementaires pour les exercer."
Le quinquennat renouvelable : fatal error system
Le 24 septembre 2000, le peuple poursuivait son aliénation, se rendant complice d'une classe politique attachée à ses privilèges. Raccourcir le mandat présidentiel : quelle bonne idée ! D'ailleurs, ravi de pouvoir changer plus souvent de chef de l'Etat, 74 % des Français approuvent cette réforme qui applique au régime de 1958 le principe de l'obsolescence programmée bien connu des industriels.
Quelle faute. Nous ne serons plus jamais gouvernés. Après le coup d'Etat permanent, voici la campagne électorale continue. Car c'est cela aujourd'hui. Quel drôle de théâtre ! La médiatisation permanente du pouvoir, la confusion entre le marketing politique et le gouvernement du peuple.
Inutile de faire des projets, sinon un peu de marketing pour faire la différence, étroite, qui donne le pouvoir pour un temps. Ils parviennent pourtant à nous décevoir. Avant de nous reconquérir. On sait tous que le destin des politiciens est de revenir.
Le quinquennat, c'est l'assurance donnée aux deux partis majoritaires de disposer du pouvoir régulièrement, en alternance. Et la promesse faite aux Français de tout changer tous les 5 ans. C'est fort. Très fort. D'autant que si le changement s'avère impossible, c'est la faute de Bruxelles.
Oui, c'est toujours la faute de Bruxelles.
L'Europe sacrifiée
Et l'Europe dans tout ça ? Car c'est finalement ça le véritablement problème. Depuis ces événements politiques le Français qui ne s'abstient pas ne vote plus "pour". Il vote "contre". Et encore, son choix est mesuré, car le péril de l'extrême droite savamment orchestré par la gauche le condamne à un choix de raison entre les forces susceptibles de le gouverner sans le troubler.
D'ailleurs, qui parle d'Europe aujourd'hui ? Cet anniversaire si triste du 29 mai 2005 n'est que l'occasion donnée aux antis de s'approprier à nouveau la victoire du "NON", alors qu'il n'était que le premier témoignage de la lassitude d'un peuple qui, comme ses parlementaires, n'est plus amené à donné son avis que s'il est majoritairement d'accord.
Alors que cette Europe, elle aurait sans doute été différente si on avait voté "OUI". Qui sait ?