Jamais La Revue du vin de France n’a distingué autant de vins bio. Voilà l’occasion de mesurer le chemin parcouru en France par cette idée simple mais longtemps minoritaire : le vin-biologique – les Anglo-Saxons disent organic – est l’avenir du vin. Par Denis Saverot
Comment l’essentiel du vignoble a-t-il pu le refuser si longtemps ? On reste pantois devant les erreurs accumulées dans les années 60, 70 et 80. Un aveuglement collectif. Pour produire davantage en dormant plus tranquilles, beaucoup de vignerons se sont mis à planter des clones ultra-productifs, cultivés à grands coups de traitements chimiques. Et la plupart des critiques, les clients même, ne voyaient rien, ou si peu. Les ravages ont été considérables : la dégustation des crus des années 70, robe orangée et palais sec et décharné, en témoigne. Et que dire des atteintes sévères à la santé des vignerons manipulateurs de produits phytosanitaires ?Tout est long dans la vigne, la maîtrise des valeurs du bio, le changement des méthodes, la nécessaire adaptation de la plante, tout cela réclame du temps.
LA CONVERSATION EN BIO, UNE TRANSITION DOUCELongtemps, cependant, le bio a pâti de faiblesses chroniques en matière de goût du vin. Cultiver la vigne et vinifier sans intrants de synthèse ne s’improvise pas. Dans les premiers temps de la reconquête, bien des vins bio se sont révélés catastrophiques en bouche. On se souvient de ces notes animales, de ces arômes de poulailler, d’œuf pourri... La RVF a compté dans ses rangs des contempteurs féroces de ces vins jugés déviants. On disait volontiers, en goûtant un blanc ultra-oxydé à la robe trouble : "Mais va-t-on renier 2 000 ans d’expérience viticole pour ça ?"
Et puis, la roue du temps a tourné. Des progrès considérables ont été réalisés, les domaines les plus réalistes optant pour une transition douce, d’abord la lutte raisonnée, puis la conversion en bio voire en biodynamie. Cette mutation, toujours en cours, prendra une génération pour s’accomplir. Tout est long dans la vigne, la maîtrise des valeurs du bio, le changement des méthodes, la nécessaire adaptation de la plante, tout cela réclame du temps.
SEPT CUVÉES ENVOÛTANTES ISSUES DE L'ESPRIT NATUREL
Aujourd’hui, on est émerveillé par la qualité du travail accompli. J’ai l’autre jour pu le vérifier à la table d’hôtes du Jeu de Quilles, le restaurant de Benoît Reix, à Paris, une adresse d’authentiques passionnés. Fin palais et ardent ambassadeur des vins bio, l’ami Reix posait d’autorité les flacons sur la table : Le Feu, un blanc savoyard du Domaine Belluard issu du cépage gringet ; un monumental Muenchberg 2009 d’André Ostertag ; un chardonnay ouillé de Jean-François Ganevat ; un sciaccarello fin et subtil signé Sébastien Poly, du Domaine U Stiliccionu, dans la vallée de l’Ortolo, en Corse du Sud ; un cabernet franc terreux à souhait (dans le bon sens du terme) de Romain Guiberteau à Saumur ; un bouleversant tavel Vintage d’Éric Pfifferling ; sans parler de la cuvée Memoria du Domaine Antoine Arena, une symphonie issue de nielluccio et de vermentino surmûris.
Des blancs séveux et digestes, des rouges subtils et nuancés. Sept cuvées d’auteur issues de cet esprit naturel qui souffle sur le vignoble français, sept vins envoûtants, profonds et tellement digestes.
En sortant rue Boulard, dans la nuit de Paris, l’on était fier de mesurer la formidable énergie gourmande du vignoble français. Ce numéro dédié au tout jeune millésime 2014 vous donnera l’occasion de découvrir bien d’autres vins conçus dans cet esprit naturel. Des vins qui laissent, le lendemain, la tête légère.
> Retrouver cet article dans La Revue du Vin de France n°592 :
Denis Saverot
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