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Croissance économique : feu de paille ou retour durable ?

Publié le 28 mai 2015 par Delits

Délits d’Opinion : En avril 2015, la confiance des ménages s’améliore pour le troisième mois consécutif, parallèlement les chiffres de la croissance au 1er trimestre sont revus à la hausse : les signes d’un retournement semblent désormais présents. Vous montrez-vous optimiste ?

Eric HEYER : Effectivement il y a une amélioration du climat global même si on n’est pas à des niveaux extrêmement élevés. On se rend bien compte aujourd’hui qu’il y avait une décorrélation : ce que nous disent les organes de conjoncture depuis un moment c’est qu’on aurait dû avoir un niveau de croissance plus élevé que ce qu’on a eu. Cette fois, au 1er trimestre, on a eu plus de croissance que ce que nous disaient les enquêtes de conjoncture.

La première question est donc de savoir si ces enquêtes sur la confiance des ménages et des entreprises sont le bon reflet de ce qui se passe.

De manière plus générale, au sein de l’OFCE on explique très clairement ce rebond, non par une baisse du chômage ou des créations d’emploi mais bien grâce à un supplément de revenu qui vient de la baisse du prix du pétrole. La baisse du prix du pétrole, c’est un transfert de 20 Mds€ des pays producteurs de pétrole vers la France, soit 1 point de PIB. Ce transfert de 20Mds€ dans les proches des ménages a fait repartir la consommation, on s’y attendait. Là où il y avait débat entre les économistes c’est de savoir si la consommation allait tirer la production. Un certain nombre d’économistes affirmait que l’économie française ne pouvait pas suivre car les entreprises françaises ne sont pas suffisamment compétitives pour répondre à la demande des ménages. Ils pensaient donc que ce rebond de la consommation allait partir à l’étranger, en importation. On se rend compte que ce n’est pas vrai puisque la production industrielle, par exemple, a progressé d’1%. Ça montre bien que le tissu productif français n’est pas si obsolète qu’on veut bien le dire.

Ça veut dire aussi que le Gouvernement s’est probablement un peu aussi trompé, il aurait certainement dû avoir une politique un peu plus équilibrée entre les ménages et les entreprises.

Aujourd’hui on se rend bien compte qu’à partir d’un certain niveau de  revenu, à partir de 1,5 – 1,6 fois le SMIC, il n’y a pas eu de baisse de salaire, même pendant la crise économique. Il y a pour ces catégories une sorte de plein emploi et on a même vu les salaires augmenter. Le CICE s’est notamment transformé en partie en augmentation de salaire pour ces ménages.

Ensuite il y a ceux qui sont en-dessous de ce niveau 1,5 – 1,6 SMIC et pour eux c’est plus compliqué. Pour eux, le pétrole est une part non négligeable de leurs postes de dépenses.

Au final la baisse du prix du pétrole a plutôt favorisé les ménages les plus modestes.

Il n’est pas sûr que l’on reparte sur un nouveau cycle. On a aujourd’hui un rebond et l’erreur du Gouvernement était de penser qu’on devait choisir entre l’offre et la demande et que le rebond pouvait venir sans demande. Une reprise économique est toujours initiée par une demande, intérieure ou extérieure, mais c’est toujours la demande qui initie le mouvement. Ensuite, il faut que l’offre s’ajuste pour solidifier cette reprise économique. On ne pourra véritablement parler de reprise que si l’investissement repart. On est aujourd’hui simplement, au début de ce schéma.

Les ressorts de ce rebond sont assez fragiles. Ce n’est pas une politique économique qui explique ce rebond, c’est le prix du pétrole qui baisse. Rien n’indique que ce prix reste à ce niveau et qu’on n’atteindra pas prochainement les 100€ le baril. Dans ce cas, ce qui est venu accélérer la croissance, viendra la freiner. Il faut donc que l’on reste dans ces conditions, pendant encore au moins deux trimestres. Il n’y aura véritablement de reprise de l’investissement qu’après 2 ou 3 trimestres.

Il faut, me semble-t-il, tirer les leçons de ce rebond, un peu inattendu, à savoir : on s’est trompé entre l’offre et la demande. Faire une politique de l’offre ne sert à rien si la demande ne permet pas de tirer la croissance. Il fallait faire une politique de l’offre, mais pas en la finançant intégralement par les ménages.

Délits d’Opinion : Les Français semblent croire à un retour de la croissance : dans quelles mesures cette croyance peut-elle entraîner un cycle positif ?

Eric HEYER : C’est important la croyance car on sait bien que l’économie c’est une science sociale, on réagit, on adopte un comportement,  pas toujours le même, en fonction de nos croyances. C’est ce que Keynes appelait les « esprit animaux ».

Aujourd’hui on se rend compte que le niveau d’épargne est très élevé, même et surtout quand on est dans l’emploi, ce niveau est très élevé. On reste prudent. Ai-je confiance en l’avenir, en ce Gouvernement et en son action ?

La question de la crédibilité ici est une question essentielle.

La consommation pourrait repartir, dans un contexte favorable de maintien du prix du pétrole, avec des salaires à partir de 1,5 – 1,6 qui se maintiennent et des salaires inférieurs qui profitent de la baisse du pétrole. Rappelons que depuis 2011, l’évolution de la consommation est de 0,1% par an. Dans ce contexte il était impossible d’avoir de la croissance économique. Si s’enclenchent l’investissement et l’emploi, on pourrait atteindre les 2% de croissance dès 2016.

Délits d’Opinion : Quelle part attribuer à des éléments extérieurs (baisse de l’euro, actions de la BCE, baisse du prix du pétrole…) et aux premiers effets de la politique économique menée ?

Eric HEYER : Aujourd’hui le contexte extérieur est assez exceptionnel : si on n’avait eu que la baisse de l’euro, les conséquences auraient été plus négatives pour les ménages avec une hausse du prix des importations. En revanche les entreprises gagnant en compétitivité, ça aurait donc été un nouveau choc d’offre. Là il y a la baisse de l’euro et la baisse du pétrole : il y a donc enfin un élément positif sur la demande des ménages.

La baisse de l’Euro est-elle complètement extérieure ? On peut en discuter, il faut se souvenir du combat de Montebourg, ministre de l’économie, concernant cette baisse. Au final c’est l’action de la BCE qui a, en grande partie, fait baisser l’Euro.

La baisse de l’euro peut d’ailleurs sembler déconcertante, lorsque l’on regarde les balances commerciales excédentaires dans la zone euro et déficitaires aux Etats-Unis. Normalement l’Euro devrait s’apprécier, même assez fortement et on devrait connaître une dépréciation du dollar. Tous les principes économiques fondamentaux des changes ne sont plus respectés dans ce mécanisme, depuis que le Gouvernement chinois s’est lancé dans cette politique de contrôle des changes. Puis ont suivi l’Angleterre, le Japon…

Au final, sans choc on aurait 2,3% de croissance. Avec le passé récent, malgré un grand nombre de chocs et notamment les chocs budgétaires (politique d’austérité), on arrivait quand même à faire un peu de croissance. On aurait dû avoir des croissances au-dessus de 2%, qu’on n’a pas connues en raison de ces chocs : si ces chocs se lèvent, on dépassera à nouveau les 2% de croissance.

2014 a été une très mauvaise année dans la mesure où dans le CICE, il y a deux parties : la politique de l’offre avec les aides aux entreprises et son financement par les ménages. Le problème c’est que ce n’est pas un jeu à somme nulle car lorsqu’on aide les entreprises, les répercussions sur la croissance sont longues à se matérialiser. Dans le même temps, quand j’augmente la TVA, j’ai tout de suite des effets négatifs. Or toute la politique économique en 2014 s’est résumée à des transferts des ménages vers les entreprises. C’est ce qui explique en partie que 2014 a été une mauvaise année. Cela ne signifie pas que c’est une mauvaise politique mais à court terme les effets sont négatifs. Il n’aurait en outre pas fallu que le Gouvernement finance ces aides par des chocs de même ampleur sur les ménages.

Délits d’Opinion : Le Gouvernement peut-il espérer une baisse sensible du chômage d’ici 2017 ou est-ce déjà trop tard ? Quel niveau pourrait-on atteindre dans une hypothèse optimiste début 2017 ?

Eric HEYER : Nous prévoyons un taux de chômage à 9,5 % fin 2016 en France métropolitaine, contre 10 % aujourd’hui. (à noter que les prévisions de croissance de l’OFCE sont supérieures à celles des autres instituts de conjoncture).

On sera engagé dans une baisse durable et régulière du chômage, mais à un rythme extrêmement faible. Pour rappel au 1er trimestre 2008, nous étions à 6,8% de chômage.

Propos recueillis par Olivier.


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