Des airs de jazz en trame de fond.
Une musique généralement intradiégétique (dont la source sonore est à l'image) et lorsqu'extradiégétique, presqu'en sourdine, mais toujours juste.
Une caméra hantée, magique, hantante.
De l'atmosphère. De l'air du temps.
Michelangelo Antonioni filmait le temps. Merveilleusement. Surtout entre 1950 et 1975. Avec des villes et des paysages fameux tournés par des caméras agiles, aériennes et brillantes.
Enfant, il confessait déjà qu'il construisait toujours des décors, des villes, avant d'inventer des histoires pour ses figurines.
L'ennui chez les autres n'a jamais été plus intéressant que dans le cinéma d'Antonioni. Il était architecte de la déconstruction structurée.
Le maître italien filmait des romances sous anesthésie. Des absences de sentiments. Des silences. Des incommunicabilités. Il filmait des pages sans phrases, des coins de rues déserts, l'amour comme une fenêtre inutile entre deux êtres.
Comme tous les films d'Antonioni, la mélodie proposée ne prend jamais le rythme attendu. Il déçoit ou il étonne. Il a son propre rythme. Qui a peu à voir avec un montage de l'équipe de Baz Luhrmann et tout à voir avec le papillon qui se poserait sur le coin d'une fenêtre offrant une vue sur l'aube.
La mélancolie existentielle filmée par l'italien à l'orée des années 60, a tout de suite séduit une jeune génération de cinéaste qui a reconnu en lui un interprète des sentiments émotifs, mais aussi doublé d'un intellectuel capable de filmer la vie comme on écrit la littérature, avec patience comme un peintre dessinerait ses oeuvres, méticuleux comme un musicien pousserait ses notes.
Comme un poète signerait sa prose.
Antonioni filmait des voiliers qui n'avaient pas besoin de port.
Ce n'est jamais plus vrai que dans L'Avventura où nous perdons l'un des personnage principal dans le premier 50 minutes, avant de plonger dans complètement autre chose, oubliant peu à peu qui nous cherchions dès le départ. Sinon soi-même.
Antonioni filmait le couple moderne, le déficit d'attention, nettement avant qu'ils ne deviennent ce qu'ils sont aujourd'hui.
L'Avventura c'est le film "père" de la drastique perte d'attention du monde moderne.
La fin de ce film de 1960 nous offre une femme, qui a trahie sa meilleure amie, disparue on ne sait trop où, en couchant avec son chum, réconfortant celui-ci alors qu'il se culpabilise d'avoir cédé aux charmes d'une autre fille, une fille facile celle-là. La réalité inconfortable d'un amour civilisé dans un monde existentiel.
La stimulation érotique serait plus grande encore dans les deux films qui suivraient. Jeanne Moreau et Marcello Mastroianni dans La Nuit et Monica Vitti et Alain Delon dans L'Éclipse. Mieux maitrisés encore à mon humble avis. Une trilogie du désenchantement qu'Antonioni n'avait pas tourné "en trilogie" mais dont les sujets, traitements et années de sorties (1960/61/62) forcent l'association. Mêmes états d'esprit, mêmes errances.
Une fameuse trilogie.
En 1964, il tournerait son dernier film avec sa muse Monica Vitti, qui sera aussi son premier film en couleur et son dernier long métrage entièrement italien.
Dans TOUS ses films, nous suivons des mécontents à la dérive. Même dans ses films des années 50.
Les scènes de sexe deviennent des sexe de "non-sexe" ou la tension, l'anxiété, l'ambivalence et l'inconfort sont dominants à l'image.
C'est le poète Wallace Stevens qui écrivait que la mort est la mère de la beauté.
Antonioni filmait la mort chez les vivants. Les rides intérieures. Et c'était très beau.
L'Avventura était lancé au Festival de Cannes en mai il y a 55 ans, où il était d'abord hué, avant d'être récompensé pour son audace dans le langage cinématographique jugé à la fois nouveau et brillant.
Merci la vie pour Antonioni!