C’est en 2009 pendant son doctorat en nanotechnologies contre le cancer que Virginie Simon a eu l’idée de créer MyScienceWork : une plateforme globale de partage et de promotion de la recherche.
La planche que Fix a réalisée sur son parcours pour l’association Les Pionnières m’a donné envie d’en savoir plus.
source : www.fix-dessinateur.com
Pourquoi as-tu créé MyScienceWork ?
Virginie Simon : C’est parti de constats. Je m’agaçais sur des choses qui me manquaient pour travailler. Par exemple je n’avais pas accès aux publications scientifiques : avant d’avoir un code INSERM, on achetait quelques articles à l’unité avec un budget restreint.
Le deuxième constat était le fait que la science devient de plus en plus multidisciplinaire. Les nanotechnologies sont très représentatives à cet égard : je viens de la biologie, mais je travaillais beaucoup avec des physiciens et des chimistes. Mais comme nous n’avions pas le même langage ni le même bagage scientifique, il était très difficile au début de se comprendre et de bien faire le lien. Bien appréhender toute la chaîne globale était crucial, mais il nous manquait des pièces : d’où l’idée d’une plateforme commune où l’on puisse trouver les bons articles pour s’informer et tisser de bonnes collaborations.
Le troisième point était que les informations n’étaient pas du tout centralisées, et que je perdais beaucoup de temps à les chercher. C’était difficile de trouver toutes les publications d’un même chercheur : au final on passait plus de temps à chercher les informations qu’à les traiter. Je trouvais qu’il y avait un décalage massif entre ce que l’on faisait, et ce que l’on avait comme outils pour nous aider à le faire.
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Quelle est la solution proposée par MyScienceWork ?
Avec MyScienceWork, nous avons constitué l’une des plus grandes bases de données d’articles scientifiques : 31 millions d’articles, dont 22 millions en open access. Ce n’est pas une plateforme fermée. Pour le reste, on y trouve des articles payants que l’on peut acheter en ligne : c’est déjà une grande bibliothèque numérique.
Nous équipons également les universités, les biotech et les centres de recherche de plateformes personnalisées appelées Polaris. Celles-ci ont trois buts : le premier est l’archivage. Il s’agit de disposer d’une plateforme institutionnelle où les institutions vont mettre l’ensemble de leurs articles scientifiques, afin de pérenniser les données. Le deuxième objectif est le pilotage de leurs recherches : les directions peuvent ainsi suivre et analyser leur production scientifique et leur collaboration. Enfin, nous valorisons leur recherche en rédigeant et relayant des communiqués de presse, articles de vulgarisation et portraits de chercheurs.
Tout cela part aussi des lois de promotion de l’open access : il y a plusieurs lois à ce sujet concernant la recherche financée par la commission européenne. Les chercheurs vont pouvoir augmenter leurs collaborations potentielles.
Sommes-nous entrés dans une ère du partage, qui amène à faire de la science différemment ?
Ce qui est certain, c’est que le monde de la recherche vit sa révolution, de même que de nombreux secteurs comme la musique en ligne, les taxis… Nous soutenons à fond le mouvement de démocratisation de la science qui s’est amorcé. J’ai cet espoir que la science soit moins prisonnière du prestige. Elle est encore trop confinée à des élites et des grands éditeurs.
Il s’agit de redonner aux chercheurs le pouvoir de communiquer sur leurs écrits. Il s’agit aussi de permettre aux passionnés de science et aux industriels d’accéder à la source d’informations que représentent les papiers. A l’avenir, il y aura beaucoup plus de liens entre les résultats de recherche et le grand public. Maintenant, quand les gens vont chez le médecin, ils ont beaucoup plus accès aux informations. Pour le milieu scientifique j’imagine un peu la même chose : que le grand public puisse accéder à des articles avec des outils innovants et de l’aide à la compréhension.
Le système des publications scientifiques et des peer reviews est amené à changer. Tout cela va devenir beaucoup plus collaboratif, beaucoup plus juste. Cela fait dix ans que le mouvement est amorcé, mais nous sommes aujourd’hui à un moment très important pour la science. Nous sommes très heureux de participer à la réflexion sur de nouveaux outils et de nouvelles manières d’appréhender la recherche.
Pour tout ce qui est peer review, on adosse pour l’instant un score avec un classement fixe chaque année. L’avenir serait d’avoir des métriques plus flexibles, un niveau de confiance qui pourrait changer avec le temps et les découvertes. Par exemple, un article qui publié dans une belle revue mais dont on n’arrive pas à reproduire les figures pourrait voir son score baisser. Au contraire, si quelqu’un fait des expérimentations sur une bactérie qui pour l’instant n’intéresse personne, si dans quatre ans on s’aperçoit qu’elle a des vertus, le score pourrait remonter. Ce pourrait être très bénéfique pour la recherche fondamentale qui est à mon avis trop oubliée. Dans un monde aussi rigoureux que doit l’être celui de la recherche, les métriques actuelles sont trop subjectives et n’ont aucun sens.
Le plus gros chantier reste de changer les critères de financement de la recherche et de repenser les facteurs d’impact et les critères d’allocation des financements. C’est l’intérêt de tout le monde que le financement aussi devienne plus collaboratif et plus souple : des Etats, des centres de recherche, des universités. Ce n’est évidemment pas l’intérêt des grands éditeurs, mais si les politiques s’en mêlent, on peut y arriver.