Quand on croise une célébrité, surtout quand elle est issue du monde politique ou des affaires, dans les couloirs d’un palais de justice, le sourire de façade dissimule souvent mal la tension, ce qui ne l’empêche nullement d’asséner avec conviction l’invariable «je suis serein, le dossier est vide, et j’ai confiance en la justice»… Parce qu’on ne s’aventure en ces lieux que forcé. A l’évidence, cet endroit est assez mal adapté pour y passer un moment de détente, pour y déambuler en sifflotant l’esprit léger. Si leur présence est requise, c’est bien souvent suite à des faits suffisamment tangibles susceptibles de porter atteinte aux règles régissant le vivre ensemble, et qui fondent notre belle, grande et harmonieuse société. Ensuite la justice passe. Elle juge et se prononce. Ou pas.
Il faut cependant reconnaître que dans cet ensemble idyllique, il reste des individus qui traversent l’espace de manière atypique en nourrissant la gazette judiciaire de grandes histoires, de procès retentissants, et de décisions souvent déconcertantes.
En fait, ce n’est pas tant le verdict que la population mise en cause qui me pose problème. Les quelques margoulins pris par la patrouille sont incontestablement d’abjects personnages, des escrocs professionnels. Mais le principal bénéficiaire, celui par lequel tout s’est fait jour ne figure même pas au rang des prévenus. S’il n’y est pas, c’est que la justice l’a blanchit, pour vice de forme, en non sur le fond, qui n’a donc jamais pu être vraiment examiné. C’est fini, enterré. Bien joué Bismuth.
Il y avait déjà le «responsable mais pas coupable», on est désormais passé à autre chose, au «je suis en plein dedans et en plein jour, mais vous fatiguez pas, je suis intouchable» avec un posture habile de victime faisant face à un acharnement maladif. Un peu comme Sepp Blatter, autre président omnipotent, grand mamamouchi d’une association à but non lucratif, qui trempe dans toutes les magouilles et à l’échelle planétaire, qui achète qui et ce qu’il veut au su et au vu du monde entier, à faire pâlir les pires mafias et voit tous ses copains de jeu se prendre un carton rouge, mais pas lui, pas sa famille… Joli dribble Blatter.
Le temps et l’état de droit sont des alliés précieux. Les Bismuth, Copé, Balkany, Tibéri et consorts ne le savent que trop. Pas une semaine ne passe sans une sordide affaire bien puante contraire à toute morale pour des individus en quête de responsabilités publiques. Sans parler de Pasqua, naguère omniprésent, grand-maître incontesté en matière de corruption et de trafic d’influence, qui a miraculeusement traversé toutes les tempêtes judiciaires sans jamais se mouiller. Et pourtant, sa vie de truand en costard était aussi visible qu’un nez au milieu de la figure.
Côté justice, du point de vue du citoyen lambda, rien ne se passe, rien qui remette un peu ces indélicats à leur place. Entre la rigueur de la procédure, le manque de moyens récurent de l’institution, et évidemment les accusations qu’elle subit sur sa non-indépendance face au pouvoir, il n’est pas facile de faire tomber les gros bonnets. La lenteur de l’ensemble leur permet de bien profiter à titre personnel des largesses qu’ils savent attirer, et quand la lame de la justice passera, ils seront sagement rangés des voitures dans un état physique qui leur épargnera, par humanité, les désagréments de la vie en promiscuité forcée, et même les réparations pécuniaires…
Là, c’est trop. J’ai l’air un peu naïf de m’emporter ainsi. Tout cela n’est guère nouveau. C’est vieux comme le monde. A son époque, Jean de la Fontaine l’avait aussi remarqué. Ce n’est pas une raison en tout cas pour s’abstenir de le répéter.
…
Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’Ane vint à son tour et dit : J’ai souvenance
Qu’en un pré de Moines passant,
La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Les animaux malades de la peste (1678)