Léonore Losserand, historienne de l’architecture

Par Artetvia

Léonore me reçoit au milieu de quantité de livres d’histoire, d’histoire de l’art et d’architecture. Quelques pierres trônent sur les bibliothèques. Tout est calme. Léonore me parle avec passion et enthousiasme de son métier. Vu l’ampleur de l’interview, cette livraison d’Artetvia « compte double ». Rendez-vous dans deux semaines donc.

Bonjour Léonore, question rituelle, comment devient-on historienne de l’architecture ?

On pourrait dire que je n’ai pas voulu faire ce métier par vocation inscrite dans mes gènes depuis mon enfance, ni par héritage familial : lorsque j’étais petite, je voulais exercer un métier identifiable aisément, comme « boulanger » ou « pompier». Et je suis devenue historienne de l’architecture : c’est raté pour la simplicité !

Après une licence d’histoire de l’art à la Sorbonne, j’ai passé un an à Rome, dans le cadre de l’association Rencontres Romaines, qui propose aux visiteurs francophones des visites guidées s’attachant à transmettre le « sens » de la ville, un sens historique et religieux. Et je pense sincèrement que si on ne connaît pas entre autres l’histoire du christianisme, on a beaucoup de mal à bien comprendre Rome. J’intervenais pour des groupes scolaires et des individuels. Je pense que c’est là que j’ai découvert ma passion pour la pierre et pour sa transmission.

De retour à Paris, j’ai poursuivi mes études en histoire de l’art. Mon directeur de thèse, un historien de l’art bien connu, spécialisé dans l’architecture française du XVIIe siècle m’a orienté vers l’histoire de l’architecture. A l’heure actuelle, d’un point de vue « universitaire », cela fait cinq ans que je travaille sur ma thèse de doctorat qui a pour titre : Les chantiers de construction des églises paroissiales parisiennes aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’est un travail de longue haleine que j’espère achever en septembre 2016.

Par ailleurs, j’ai deux activités professionnelles principales : j’assure des visites guidées et j’effectue des études historiques.

Parlons d’abord des visites guidées. Tu en fais toujours ?

Oui bien entendu ! En fait, ayant un certain bagage universitaire, je pouvais choisir « simplement » de donner des cours, ce que je fais de temps en temps d’ailleurs, mais ce n’est pas ce que je recherche. La théorie pour elle-même ne m’intéresse pas plus que cela et je ne suis pas très scolaire (bon, Léonore a un niveau Bac + 18 ou + 32, on ne sait plus, mais bon… Note d’Artetvia). Je tâche de faire de l’histoire de l’architecture appliquée et de transmettre. A l’oral et à l’écrit.

A l’oral, ce sont les visites guidées au grand public que j’assure depuis bientôt dix ans. C’est un métier contraignant – il y a un gros travail en amont et un sacré effort de concentration – et fatiguant (deux visites guidées par jour pendant une semaine dans une Rome surchauffée, c’est éreintant, je peux vous l’assurer), mais c’est passionnant. J’aime le contact avec les visiteurs, observer leur réactions. On voit très vite si les gens sont intéressés ou non, et s’ils comprennent ou non. Je tâche de transmettre les clés de compréhension du monument visité.

Et les études historiques ?

C’est la plus grande partie de mon métier. La transmission « par écrit ». Je propose des études historiques aux architectes (architectes des Monuments Historiques et aux Architectes des Bâtiments de France) et aux propriétaires de monuments anciens, du château à l’appartement parisien. Après deux ans en tant que salariée dans un cabinet spécialisé, je me suis mise à mon compte.

Peux-tu nous en dire plus ? J’avoue que c’est un peu vague pour moi.

Je cherche à retrouver la mémoire du bâtiment à partir de plusieurs sources. Les propriétaires, s’ils possèdent leur propres documents, mais aussi les archives nationales, départementales, municipales. Je passe beaucoup beaucoup de temps en bibliothèque, au milieu des vieux papiers, des plans, des cartes postales, des photos anciennes. Sans oublier bien entendu l’observation du bâtiment lui-même.

C’est important ?

Non, simplement indispensable. Il faut apprendre à vouloir et savoir voir, comme me disait l’un de mes professeurs. Hé oui, on apprend à voir. Et cela ne s’apprend pas dans les livres ou sur les bancs de la Sorbonne. C’est uniquement par la confrontation avec la réalité. L’observation prime sur toute autre recherche : la forme du bâtiment, le style, les matériaux de construction, les travaux, les éléments en bon ou mauvais état, les dépendances, le jardin, le mobilier. Cela forme un tout qui permet de comprendre le monument. C’est aussi le seul moyen de connaître un bâtiment quand les archives ont disparu. Un détail sur le mobilier : en France, le mobilier d’origine est très rare, contrairement à des pays comme la Suède par exemple : les guerres de religion et les révolutions (1789 et aussi à Paris beaucoup moins connues, 1830, 1848 et 1870), même si on peut avoir des surprises. Saviez-vous par exemple qu’aucune église parisienne n’a été détruite pendant la révolution de 1789 ? Bon évidemment le mobilier a été saccagé de fond en comble, mais pas les bâtiments…

Je réalise ce que l’on appelle une monographie du bâtiment : le parcellaire, l’histoire de la construction, les dates, le nom de l’architecte, les matériaux, les rajouts et les modifications ultérieures, les commanditaires… et la vie de ces personnes, l’arrière-plan psycho-sociologique. Par exemple : un marquis ne construit pas de la même manière qu’un chanoine, une église conventuelle n’est pas une église collégiale.

Et au final à quoi ça sert ?

A beaucoup de choses ! Très variées. Plusieurs exemples :

J’ai le cas d’une ZAC, ancienne propriété de la SNCF qui avait racheté les terrains au milieu du XIXe siècle. Les commanditaires voulaient vérifier le parcellaire pour garantir les titres de propriété et ne pas se retrouver avec des procès sans fin. Je suis remonté jusqu’en 1850 !

Autre exemple, pour les monuments ouverts au public ou dont les propriétaires ont lancé une activité de chambres d’hôtes, une étude historique solide est un argument de vente et de communication indispensable : les anecdotes du propriétaire seront vraies, Louis XIV a vraiment dormi dans cette pièce, les guides vont arrêter de dire n’importe quoi ;). Et puis, si ces mêmes propriétaires veulent effectuer des travaux, je peux les accompagner pour démêler l’ancien du récent, l’essentiel de l’accessoire. Même chose pour les dossiers de demande de subvention : il est évident qu’avoir une étude historique à sa disposition renforce la crédibilité pour obtenir des crédits.

Au-delà de ton métier qui a l’air passionnant, quel regard portes-tu sur la protection du patrimoine en France ?

Tu me poses une question piège ! Je dirais qu’il y a un équilibre très délicat à trouver entre la juste conservation du patrimoine et la nécessité de vivre dans son époque et avec les contraintes actuelles. La particularité de l’architecture est que, souvent, on vit dedans. Certains architectes l’oublient d’ailleurs et on se souvient tous d’une bibliothèque parisienne très connue qui a été conçue… sans toilettes. Si le mur ne tient pas debout, il s’écroule. Et nous sommes obligés de le restaurer et de vivre avec, en quelque sorte, ce qui implique une évolution, des changements. Ce n’est pas figé. D’ailleurs si c’était figé, « sous cloche », cela n’aurait aucun intérêt : nous ne vivons pas dans un musée ! Les gens nous voient parfois comme des casse-pieds de première classe : ils n’ont pas toujours tort, il faut l’avouer… Alors que notre but est de donner du sens au patrimoine (patrimoine : vint du mot père, ce que nous ont légué nos pères, nos ancêtres). Et pour répondre à une question que tu vas certainement poser, peut-on détruire ? Au risque de choquer, je dirai : si on ne peut pas faire autrement, oui ! Il faut savoir dire que tel monument n’a aucun intérêt architectural ou historique. Et en même temps, savoir dire que ce petit bâtiment de rien du tout est un formidable témoin du passé. Le scientifique s’intéresse à tout, mais ne s’extasie pas devant tout…

Le mot de la fin ?

Que cela soit pour les visites guidées ou les études historiques, mon but est bien de retrouver le sens du bâtiment et de le transmettre. Par exemple, aujourd’hui, dans les constructions actuelles, il est nécessaire de mettre en place une signalétique pour indiquer où est l’entrée, car le bâtiment lui-même ne l’indique pas. Ce qui était impensable auparavant : il fallait que l’architecture soit signifiante, sans compter les aspects pratiques. Alors, évidemment, on ne comprend pas toujours le pourquoi du comment des bâtiments anciens. Autre exemple que tout le monde connaît : les escaliers de service n’ont plus d’utilité « sociale » aujourd’hui, ils sont devenus des sorties de secours. Mais il faut quand même comprendre pourquoi dans les immeubles, il y avait deux escaliers, ou bien des couloirs étroits dans les appartements.

Quand on connaît bien un monument, les pierres finissent par parler. Et on comprend l’histoire des personnes qui l’ont construit, habité. Une église, un château a été construit par des personnes sachant très bien ce qu’elles faisaient, elles ont aussi voulu nous en faire hériter. A nous de retrouver cela et de partir à la recherche de quelque chose qui n’a pas été transmis. Le savoir existe, je ne l’invente pas : il y a peut-être la solution dans un carton d’archive, sur le bâtiment ou dans les mémoires.

Merci beaucoup Léonore !!

Pour joindre Léonore (si vous voulez passer commande par exemple, pour votre appart’ parisien ou le château de votre grand’mère, hé, hé… ou tout simplement la féliciter), contactez Artetvia qui transmettra.