Le plaisir de la petite phrase, du slogan facile, de la basse réclame, des formules lapidaires mais finement étudiées semble devenu le passe-temps favori des acteurs politiques au sens large du spectre (élus, journalistes, commentateurs, communiquants, spin doctors etc).
Ainsi, la surenchère dans l'utilisation des éléments de langage, verbiage à tout faire censé marquer les esprits et susciter, par leur seule incantation, l'adhésion spontanée de la foule soudain éclairée par la fulgurance d'un bon mot ; contribue hélas à diminuer d'autant le crédit de la parole publique, hier encore sacrée, aujourd'hui vacillante, et ce tout simplement car il ne semble pas encore admis que les citoyens de l'ére cathodique (pour les anciens), et de l'ère digitale (pour les plus jeunes), ont appris à décoder les intentions des discours purement publicitaires ou de com'.
Dans le registre de l'action publique, depuis plusieurs mois, un mot revient sur le devant de la scène, un bon mot de com' qui tue la politique, et il n'est pas anodin qu'on veuille désormais appliquer ce qualificatif que la langue française réservait aux "formules", i.e au "dire", toujours magique en politique, au "faire", à savoir les mesures énoncées par le politique. Ce mot, c'est le mot "CHOC".
En novembre 2012, au moment de la remise du rapport Gallois, il fallait un "choc de compétitivité" pour stimuler l'économie. Récemment, lors de son grand oral télévisé, le Président de la République a lancé l'idée d'un "choc de simplification administrative". Enfin, Marianne connaissant les infortunes de l'absence de vertu de l'ancien Ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, les mesures prises par François Hollande sonnent à tous aujourd'hui comme étant celles d'un "choc de moralisation".
Mot valise, dont le sens se galvaude au fur et à mesure de sa surexploitation langagière comme le fut au cours des deux dernières décennies le mot "réforme", il y a fort à parier que le mot "choc", dont le sens littéral signifie la "rencontre brutale entre deux ou plusieurs corps", n'apporte pas grand chose à la communication gouvernementale et présidentielle sauf le sentiment que le volontarisme du verbe masque grossièrement l'impuissance des actes.
Notre histoire regorge d'épisodes critiques où, lassés et repus des belles phrases de leurs représentants, les citoyens, à bon ou mauvais escient, ont exprimé leurs colères en actes. Quand le médecin se fait attendre trop longtemps, on prend le parti de se guérir soi-même et, hélas, le désordre procède souvent de l'injustice. En effet, l'exemple récent de la crise des banlieues de 2005 atteste bien que, de la tentative désespérée de se faire justice face à des mots brandis comme des étendards tels que "Liberté", "Egalité", "Fraternité", "République" mais dont le caractère concret avait depuis longtemps déserté les "quartiers", naît le désordre.
Agir, sans fioritures verbales, sans emprunts langagiers qui, plutôt que de densifier la geste, délayent le propos, telle est l'attente des citoyens à l'égard des acteurs publics en temps de crise. Durant la Révolution Française Danton, déjà, afin d'éviter que le Peuple continue de massacrer les nobles emprisonnés sans se soucier de la légalité de ses actes, tant les sans-culottes étaient échaudés par les belles lettres de leurs représentants qui, malgré les discours, ne prenaient pas les décisions nécessaires pour combattre efficacement les contre-révolutionnaires ; avait lancé cette phrase à la Convention Nationale : "Soyons terribles pour éviter au Peuple de l'être !".
Cependant par delà la formule, "choc" diront beaucoup, des décisions trés fermes et claires avaient suivi, dont la création du terrible Tribunal Révolutionnaire. Evidemment, nous n'en sommes pas encore là dans la crise aux multiples visages (économique, politique et social) qui ébranle la République, mais reste que le pays réel n'a nul besoin des mots, fussent-ils séduisants, qui caractérisent, et c'est le plus choquant, le règne d'une non-pensée du pays légal qui le gouverne. Transformer le réel, dans sa complexité, est une chose trop grave pour se réduire à des formules magiques.
Agir, vite, fort, sans complexes, agir pour résoudre les problèmes et trancher dans le vif de situations enlisées depuis des années qui sont le ferment d'injustices sociales, et donc du populisme. La voie existe cher camarade Président, et si beaucoup de choses ont été entreprises, aller plus loin ne serait pas vécu comme choquant mais comme salutaire par beaucoup de progressistes !
Agir avec audace. Alors l'intendance verbale, suivra !