D'une manière générale, le SAVOIR a toujours été au coeur de la notion de POUVOIR.
C'est un héritage des sociétés antiques et de leurs mythes fondateurs :
- dans la mythologie grecque, Prométhée est celui qui vole le "savoir divin", c'est-à-dire le feu sacré de l'Olympe et le donne aux hommes, qui développent les outils et la technique.
- dans le récit biblique, Adam et Eve croquent le fruit de l'arbre de la connaissance, connaissance censée demeurer dans le giron du Divin.
Si l'on se rapproche des temps modernes, cette relation entre savoir et pouvoir s'est amplifiée avec l'apparition de nouveaux outils de communication :
- quand Gutenberg imprime son premier livre, une Bible, il s'agit là d'un véritable cataclysme pour l'Eglise catholique romaine, terrorisée à l'idée que les fidèles aient un accès direct aux Ecritures. D'ailleurs entre les thèses de Luther qui signent le commencement de la Réforme protestante et ce fait, il ne se sera déroulé qu'une soixantaine d'années.
- plus récemment encore, souvenons-nous que Louis XVI fit interdire l'Encyclopédie à la fin du XVIIIème siècle.
Cependant, au même moment historique, un mouvement avait commencé de battre en brèche cette idée d'une information comme source de pouvoir réservée aux puissants. L'émergence du cartésianisme moderne (cf la notion de "clartés" chez Descartes), l'idéologie des Lumières fondée sur l'alliance du progrès et de la démocratie aboutirent par exemple dès 1789 à ce qu'une des premières entreprises de la Révolution Française fut de proclamer la liberté de la presse.
Plus tard, James Madison rappela dès 1822 " Un gouvernement populaire sans informations des citoyens, ou les moyens de l'acquérir, n'est que le prologue à une FARCE ou une TRAGEDIE, et peut-être aux deux simultanément. Un peuple qui entend être son propre gouverneur doit s'armer lui-même du pouvoir que donne la connaissance."
Nous avons là le plaidoyer des démocraties modernes et pour se rapprocher encore plus d'aujourd'hui, que penser de l'acte de Gorbatchev qui, dès qu'il devient Secrétaire Général du Parti Communiste de l'Union Soviétique en 1985 proclame 1/ la "perestroïka" (restructuration) 2/ la "glasnost", c'est-à-dire la TRANSPARENCE ? Voilà encore un exemple de cette relation ontologique entre savoir et pouvoir.
Ainsi dans son livre " Le droit de savoir", Edwy Plenel indique : " A tous ceux que le journalisme intrigue et que la démocratie concerne, en matière d'affaires publiques, la publicité doit être la règle et le secret l'exception". Pourquoi ? Parce que le droit de savoir prémunit contre l'abus de pouvoir.
Par conséquent, le thème de l'ouverture des données publiques comme enjeu de communication doit être analysé à l'aune de cette dialectique : la communication est un outil de pouvoir, pouvoir fondé sur le monopole du savoir, mais en démocratie la communication doit avant tout revenir à ses sources éthymologiques ( "comunare" = mettre en commun en latin), donc elle doit partager, échanger, faire la lumière, éclairer, pour que chacun juge en son âme et conscience.
Or c'est véritablement pour répondre à cette exigence démocratique que la Région Auvergne, depuis le 1er juillet, est devenue la seule collectivité du territoire auvergnat à s'être lancée dans une démarche d' ouverture des données publiques.
A ce titre, le premier enjeu de communication est celui de la transparence. L'Open Data de la Région Auvergne est une preuve matérielle et concrète de l'ambition politique et des convictions morales des élus de la majorité de gauche et de leur Président, René Souchon, preuve d'une volonté de construire une Auvergne plus démocratique.
Deuxième enjeu de communication de l'Open Data qui rejoint le premier, c'est celui de la citoyenneté. En effet, la participation citoyenne ne devant pas se limiter, pour la majorité régionale, au seul moment du vote, l'ouverture des données s'inscrit pleinement dans les démarches de démocratie participative menées en 2005 (Assises Territoriales), 2007 (bilan d'étape des Assises), 2009 (Assises de la Mobilité), 2010-2011 (Assises de la Jeunesse et démarche Graines d'Emplois) et 2013 (Débat sur la Transition Energétique) qui visent à rendre la parole aux citoyens. Eclairé, celui-ci jouit donc désormais d'un pouvoir de contrôle renforcé conformément à l'article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ( " La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration"), droit dont l'exercice réel est de nature à consolider, voire à renouer, le lien de confiance entre représentants et représentés.
Dernier enjeu de communication : l'Open Data est un outil propice à l'amélioration de l'action publique. En effet, dans des organisations internes fonctionnant traditionnellement en silos, ou la verticalité à la vie dure, se doter d'un tel outil nécessite une refonte progressive et transversale du système d'information de nature à rendre les données publiables et réutilisables. Cela permet donc un meilleur contrôle de gestion et une meilleure évaluation des actions entreprises, en temps réel, au-delà de tous les audits.
En résumé, voici les avantages de la démarche :
Cependant, le principal enjeu de communication relatif à l'Open Data concerne les limites inhérentes à l'outil. Ne pas les expliquer reviendrait à faire croire que nous aurions trouvé l'outil de communication le plus approprié aux temps modernes.
Il y a des limites sur les données elles-mêmes : brutes, elles ne sont que la conséquence d'une action. L'Open Data doit donc s'enrichir du croisement avec d'autres données, pétrole d'Internet qu'il convient de raffiner.
Il y a des limites éthiques : si au nom de la démocratie, le citoyen a le droit de TOUT savoir, alors nous entrerons dans un monde orwellien beaucoup plus dangereux que le roman 1984 car nous deviendrons tous les "little brother" de nos voisins. Or c'est justement de la confusion du domaine public et du domaine privé que peut naître selon Hannah Arendt, le germe totalitaire comme elle le souligne dans " La Condition de l'Homme moderne".
Dernier écueil enfin, qui justifie pleinement, au delà d'une communication directe entre une institution et le citoyen, une communication indirecte, ce dernier écueil consiste en l'absence d'explications contextualisées. Car via l'Open Data, le citoyen ne sait rien de l'intentionnalité de l'action dont la donnée est la résultante. Quels objectifs initiaux, quel processus de décision ? Voilà pourquoi l'outil ne peut être une fin, sinon un moyen complémentaire à d'autres dans le cadre d'une citoyenneté active.
Dès lors pour conclure, l'Open Data, à travers ses forces et ses faiblesses, se réfléchit au miroir de celles de la communication : à savoir que l'une et l'autre sont des outils nécessaires, mais non suffisants à la démocratie.