"La pop est un langage comportant une grammaire propre par laquelle peuvent s'exprimer un certain nombre de messages. Particulièrement adaptée à notre époque, il était légitime que la pub et la communication s'en emparent. Justement la plupart des entreprises cherchent à moderniser leur image en usant de ses symboles et de son esthétique. Aujourd'hui nous étudierons la pub d'un produit très particulier: le président des Etats-Unis."
La dépolitisation de la jeunesse semble devenir une caractéristique majeure des nations industrialisées. Pour beaucoup, la classe politique représente un groupe de gestionnaires plus guidés par le cynisme que les valeurs, et parfois même atteints d'une incurable cupidité. Depuis l'affaire du Watergate la culture américaine ne cesse d'exprimer, par le biais du cinéma et de la littérature, cette paranoïa à l'égard des gouvernants.
Et quand bien même ces " gestionnaires " ne se révèlent pas malveillants, leur aura reste à l'image de l'économie qu'ils doivent gérer : froide et austère. Les débats ennuient bien souvent cette jeunesse nourrie au sein du spectacle permanent et qui ne peut s'empêcher de bailler face à la guerre des chiffres. Pourtant les 18-24 ans représentent 12% de l'électorat américain, soit une proportion non négligeable capable de faire basculer une élection présidentielle, alors que leur taux de participation dépasse rarement le seuil des 50% !
Obama et son équipe de communication comprirent parfaitement l'enjeu d'une mobilisation de la jeunesse ; d'autant plus en raison du contexte. Retour en arrière : le 15 septembre 2008 la banque d'affaire Lehman Brothers est déclarée en faillite, ce qui ne manque pas d'ébranler le système économique et financier dans son ensemble. Moins de deux mois plus tard a lieu l'élection du futur président américain. L'heure est au changement: la conjoncture profondément angoissée par l'avenir voit surgir une crise des valeurs sans précédent. Les électeurs, apeurés, attendent le changement comme le messie. L'époque ne désire plus qu'une seule chose : de l'espoir.
Justement Obama se posa comme l'incarnation même de ce changement dans son discour. En témoigne la couleur de sa peau ! Les grands thèmes du parti démocrate (couverture maladie, régulation des marchés...) furent brandis comme autant d'emblèmes d'une rupture tant souhaitée. Ne restait plus qu'à traduire ces vœux dans un style graphique en rupture lui aussi. Tous les espoirs suscités par cette candidature aussi exceptionnelle que la situation l'ayant portée devaient se cristalliser dans une esthétique emblématique, usant d'un langage jeune, neuf, et profondément mystificateur.
L'une des fonctions principales de la pub pop est d'auréoler le produit d'une image " cool ", le cool étant un étalon de valeur très important auprès des jeunes. Pour cela, l'équipe d'Obama eut recours à l'une des figures majeures du street art : Franck Shepard, un graphiste et illustrateur à la base du célèbre collectif OBEY, symbole d'un art pop branché. Issu du graff et du skateboard, son style s'inspire des vieilles affiches de propagandes communistes qu'il détourne pour parodier l'art engagé et conceptuel. Des livres, des fringues, ou encore des pochoirs, Shepard se révèle être un businessman aguerri aux nouvelles formes de street marketing (stickers, pochoirs, T-shirts...) qui le firent connaître partout dans le monde.
Connaissant parfaitement les codes de la contre-culture avec lesquels il s'amuse non sans ironie, et en bute avec la politique de GW Bush, ce dernier s'investit pleinement dans la campagne du sénateur démocrate en réalisant une affiche devenue culte: la fameuse affiche HOPE. Le changement trouvait ainsi son expression la plus moderne qui soit, et Obama emportait déjà la bataille de la communication en incarnant sobrement, et le plus simplement possible, l'espoir. Sur le terrain de l'image, Mc Cain, son adversaire, venait de connaitre une cuisante défaite.
En utilisant le street art dans la communication politique, Obama accomplit une véritable révolution. Ainsi le 44ème président des Etats-Unis établissait un pont entre lui et l'électorat jeune et donnait au passage, par cette incroyable alliance, le premier gage d'un changement à venir. Stratégie payante puisque 52% des 18-29 ans se rendirent aux urnes et 66% d'entre eux choisirent le démocrate. Qui a dit que la pop ne pouvait pas changer le monde ?