Qu’est-ce que la mode ? L’empire des apparences et du superflu, de la fantaisie et des outrances, des oscillations esthétiques sans lendemain, et des innovations farfelues ? On appelle « mode » cette folle petite enclave sociale, aux goûts éphémères et aux revirements fantasques, qui impose pendant un temps un style et provoque un rapide engouement. Ce qui est spécifique et inquiétant dans la mode, c’est cette institution du neuf et du fou en norme.
C’est pourquoi, ordinairement, les hommes n’aiment pas la mode, ou l’estiment peu. La mode dérange, car l’instabilité, l’apparaître et l’anticonformisme sont ses principes. La mode est superficielle et inconstante, extravagante et provoquante, passionnelle et éphémère. La mode a foncièrement quelque chose d’antisocial.
Mais nous avons beau jeu de la bouder, car ce que nous condamnons en elle, c’est ce que nous devrions reconnaître en nous. On fait de la mode un secteur à part, un monde étrange éloigné de nous, opposé en tout point à la logique sociale. Ce qui n’est tout simplement plus vrai. La mode a envahi notre espace social, non pas l’empire du vêtement et de la parure, mais l’Esprit de la mode, ses principes, son idéologie, ses valeurs.
Telle est la thèse du philosophe Gilles Lipovetsky : à observer de près notre société, on y retrouve presque trait pour trait tous les caractères de la mode. L’individu actuel vit au rythme du changement, à l’ère de l’esthétique, et sous l’empire du besoin de se distinguer. Les grands principes qui gouvernent nos vies sont semblables à ceux qui règnent sur la mode.
Produits de consommation, publicité, culture : tout est à la fois plus attractif, plus singulier, plus passager. On change de tout, malgré l’originalité et la beauté de ce qui nous entoure. Les mentalités sont impatientes, frénétiques, inconstantes. La nouvelle loi sociale : loi de la séduction et de l’obsolescence.
Est-ce cela qui nous inquiète dans notre société ? Nous devrions pourtant nous dire : ces valeurs font la guerre au médiocre et à l’immobilité, au conservatisme et au troupeau. L’instabilité est l’envers de la souplesse et le contraire de la rigidité…