Marta, 25 ans, diplômée en philosophie avec les félicitations du jury, a toute la vie devant elle... du moins, en théorie. Son copain, brillant ingénieur contraint à faire du dog-sitting pour survivre, l'emmène fêter sa fin d'études dans la sandwicherie la moins chère de la ville et lui annonce qu'il part pour les Etats-Unis; ses recherches d'emploi ne donnent rien alors que ses amis de l'université, dont aucun n'est allé au bout du cursus, ont tous trouvé un travail bien payé; son colocataire a la brillante idée de profiter de son absence pour loger quelqu'un d'autre à sa place. C'est ainsi que Marta se retrouve employée comme baby-sitter par Sonia, fille-mère incapable d'élever la petite Lara, dans un quartier de Rome dont elle ignorait totalement l'existence.
Un mois plus tard, Marta trouve un poste à mi-temps à la Multiple grâce à Sonia. Dans ce call-center, les journées commencent par des danses, les plus méritants gagnent des prix, on laisse une chance aux moins méritants, les employés ont tous la même passion pour les émissions télévisées. Marta pense avoir enfin trouvé sa place. Mais derrière cette ambiance qui pousse chacun à donner le meilleur de lui-même, se cache une réalité bien amère. Les cadeaux qu'on donne aux employés sont totalement inutiles, les séances d'humiliation des moins efficaces se font en public, l'appareil à vendre est censé épurer l'eau du robinet alors que l'eau de Rome est on ne peut plus saine, les techniques utilisées pour vendre le produit reposent sur l'ignorance et les craintes des ménagères. Malgré cela, les employés, tous jeunes, sont persuadés de n'avoir aucun avenir en dehors de la Multiple, et les patrons jouent sur leurs situations souvent difficiles. A la Multiple, ce dont tout le monde a peur, c'est de se faire renvoyer comme dans les émissions de télé-réalité.
Marta, étrangère à ce monde, se fait vite apprécier de Daniela pour son efficacité et ses initiatives. Elle parle un jour de ses conditions de travail à Giorgio, un syndicaliste indésirable à la Multiple. Quand Giorgio dénonce les responsables de la société publiquement, on soupçonne Sonia de lui avoir donné les informations; licenciée, elle se lance comme escort-girl. Maria Chiara, pendant longtemps la meilleure employée du call-center, ne digère pas d'avoir été détrônée par Marta et est renvoyée à son tour. Lucio 2, employé modèle qui a été jusqu'à vendre les machines à sa famille qui ne pouvait pas se les payer, déprime de ne pas avoir réussi à séduire Marta et devient le plus mauvais vendeur du mois. Ne voulant pas être humilié devant tous les salariés, il s'enfuit en voiture et finit à l'hôpital. Giorgio en profite pour déposer une plainte contre la Multiple, mais un événement inattendu conduira à la fermeture du call-center et à l'inévitable licenciement général.
Alors que les producteurs français ont eu la bonne idée de faire croire au gros du public que le cinéma italien se limite à "Benvenuti al Sud", Paolo Virzì, peu connu en France, s'inscrit dans la tradition de la grande comédie italienne. Dans "Tutta la vita davanti", comme chez Monicelli, la comédie sert à cacher un drame social, ici celui des jeunes sur le marché du travail. Marta, l'étudiante en philosophie, se retrouve tout à coup propulsée dans un monde où elle n'a pas sa place: qui veut d'une diplômée en philosophie dans un pays dont les dirigeants disent "On ne mange pas avec la culture"? Il ne lui reste plus qu'à entrer dans cet endroit éloigné de tout (à l'image de la situation des jeunes d'aujourd'hui) pour découvrir la réalité du monde professionnel: un call center, métaphore d'un pouvoir qui harcèle les gens pour leur donner ce dont ils n'ont pas besoin. En face de Marta, les dirigeants ne pensent qu'à leurs propres intérêts, quitte à être ignorés de leurs enfants et de leurs amis, les syndicats sont aussi idéalistes que contre-productifs et déconnectés de la réalité, et les salariés précarisés finissent par croire qu'ils ont de l'intérêt professionnellement, ce qui est pourtant censé être leur but. La télévision joue son rôle dans cette déconsidération des jeunes: les uns ne se passionnent que pour la télé-réalité, les autres prennent peur en voyant un syndicaliste les dénoncer au journal télévisé. "Tutta la vita davanti" n'est peut-être pas le meilleur film de Virzì mais est devenu le film d'une génération, s'appuie sur une très grande maîtrise du scénario et une belle direction d'acteurs (notamment Micaela Ramazzotti, qu'on ne voit pas assez sur les écrans, et Valerio Mastandrea, formidable acteur abonné aux mauvais rôles). Grande réussite quant à la critique sociale, comédie où on n'a pas envie de rire, l'oeuvre nous rappelle que le meilleur du cinéma italien n'est pas si loin.