Ceux qui font l'histoire, ce sont ceux qui tuent et ceux qui volent les pauvres, au nom d'un dieu ou d'un autre; les autres sont destinés depuis toujours à subir cette histoire qui n'est pas la leur.
Retraçant le massacre de Marzabotto (770 morts le 29 septembre 1944), "L'uomo che verrà", prix du meilleur film italien en 2010, s'inspire du néo-réalisme pour décrire la vie d'une famille paysanne de la campagne bolognaise, qui doit cohabiter avec l'armée allemande dont elle ne comprend ni la présence ni les raisons. Ils sont nés ici, leurs parents sont morts ici, pourquoi devraient-ils obéir à des étrangers qui viennent leur prendre tout ce qu'ils possèdent au lieu de rester chez eux avec leur famille? Qu'importe si les Nazis les considèrent comme des moins que rien, eux au moins ne font pas ce que personne n'a jamais appris à un autre homme à faire. Mais ils ne veulent pas prendre les armes pour autant, ce n'est pas leur guerre, et ils n'ont pas de quoi se battre. Les jeunes s'engagent cependant, en pensant à ce qu'ils diront à leurs enfants plus tard.
Au milieu de cette communauté, il y a Martina, âgée de huit ans, devenue muette lorsque son petit frère est mort dans ses bras quelques jours après sa naissance et qui vit dans l'attente d'un nouveau frère. Elle cherche à comprendre cette guerre où chacun veut tuer son voisin, alors que les Allemands devraient être chez eux et que les résistants parlent la même langue que les fascistes. L'hiver 1943-44 passe et la mère de Martina est enceinte. Mais les batailles se font plus dures entre résistants et nazis, et il ne reste aux villageois qu'à prier pour que tout se calme. Leurs prières semblent apporter les résultats attendus. Mais les résistants quittent le village le soir même tout en sachant que les Allemands vont revenir encore plus nombreux.
Les conditions des paysans deviennent alors plus difficiles et les enfants jouent à la guerre. Ce que les Allemands ne prennent pas est donné aux résistants. Un jour, Martina voit un Allemand creuser un trou. Ne comprenant pas ce qu'il fait, elle s'assoit pour le regarder et va ainsi voir le soldat se faire tuer par deux résistants. Incapable de dire qu'elle a compris ce qui va bientôt se passer, elle va devoir attendre seule les conséquences du meurtre. Heureusement, elle fait sa première communion peu après et son petit frère naît la nuit suivante.
Le lendemain, les Allemands encerclent l'église et les villages voisins. Agacés de ne pas avoir réussi à se débarrasser des résistants, ils massacrent tous les habitants. Martina parvient à sauver son petit frère, avant d'être enfermée dans l'église où elle sera la seule survivante. Sa tante Beniamina est emmenée avec une partie des habitants au cimetière et échappe provisoirement à la mort, sous prétexte qu'elle ressemble à la femme d'un officier. Martina emmènera le bébé chez un prêtre, mais s'échappe à l'arrivée des nazis. Revenue chez elle, elle comprend qu'elle ne reverra jamais sa famille, et retrouvera la parole dans un village rayé de la carte.
Vu à travers les yeux de Martina afin de renforcer l'absurdité de la guerre, "L'uomo che verrà" traite de façon très simple, sans compassion ni héroïsme ou artifices, du sort de ces paysans dont l'histoire n'a pas retenu les noms. Témoignage très réussi sur le monde campagnard d'alors, le film souligne l'importance de la religion pour ces paysans illettrés, qui attendent en vain un homme ou un dieu qui ne viendra pas. Martina, par son mutisme qui l'isole des autres, semble avoir compris beaucoup plus de choses que les adultes, et c'est le fait d'avoir un nouveau petit frère qui la sauve. Evitant tout manichéisme à l'américaine et tout discours pacifiste, Giorgio Diritti n'hésite pas à humaniser des soldats allemands (l'un sera incapable de tirer, l'autre restera frappé par la misère des ces gens, notamment Beniamina qui a le même âge que lui), tandis que les villageois essaient tant bien que mal de vivre avec l'ennemi, et subissent finalement un sort contre lequel ils ne peuvent rien. Grande réussite de mise en scène, le film va en crescendo vers le massacre collectif, dont les séquences sont très intelligemment filmées: une succession de plans moyens pour la scène du cimetière, un seul plan monochrome avec du noir et du blanc pour celle de l'église, très peu de paroles, puis paroles coupées au profit de la musique et des bruitages... jusqu'à laisser sans voix le spectateur lui-même. L'autre grande réussite du film est le choix du dialecte régional (aujourd'hui en voie d'extinction) au lieu de l'italien, par souci de réalisme. Interprété par des comédiens non professionnels aux côtés des deux grandes Alba Rohrwacher et Maya Sansa, "L'uomo che verrà" (sortie apparemment prévue en France) est un vrai chef-d'oeuvre sur les victimes de la guerre, qu'on ne voit jamais vraiment ici puisque les guerres sont toutes les mêmes pour ces gens.