Deux week-end et deux expériences artistico-architecturo-magico-culturelles se sont succédés, l'une était à vivre tandis que l'autre est à visiter, les deux ayant été initiées par le nouveau lieu d'expérimentations qu'est le Shadok, Fabrique du Numérique à Strasbourg et son exposition inaugurale : Cités végétales en 2115 par Luc Schuiten.
Luc Schuiten, panorama de Strasbourg pour 2115, septembre 2014. © Luc Schuiten.
« Enfant, je rêvais d'habiter les arbres. Aujourd'hui, par la force de l'imaginaire, j'habite une cité archiborescente et je reviens de moins en moins souvent par ici. Vous pouvez me croiser dans la rue, mais ne vous y trompez pas, ce n'est qu'une apparence, je suis ailleurs. Cette exposition est une invitation à voyager ensemble dans mon imaginaire. », nous dit Luc Schuiten. Avant cette exposition, je connaissais plutôt son travail de co-auteur des bandes dessinées qu'il a réalisées avec son frère, François Schuiten (Carapaces ou encore Zara, publiées chez les Humanoïdes Associés). Il y a un lien entre eux deux, un lien fait de courbes, d'arbres, de nature, d'entremêlements de végétaux dans et avec lequel l'homme apprend à vivre, à habiter, un futur nécessaire, quelque chose vers lequel on tend, ou du moins vers lequel on devrait tendre. Bds, récits, visions, architectures d'anticipation, tout cela est ce qui nous est proposé.
Luc Schuiten, Eurotram de Strasbourg pour 2115, septembre 2014. © Luc Schuiten.
L'exposition Cités végétales en 2115 est issue d'une résidence débutée par Luc Schuiten à Strasbourg un an avant l'ouverture du Shadok (avril 2015). Il a rêvé comment Strasbourg évoluerait pendant les cent prochaines années et nous en présente un portrait. Des dessins et des maquettes sont présentées, des projets pour d'autres villes aussi, Shanghai, Lyon, Nantes... Il montre et explique diverses typologies de cités qu'il propose, qu'il souhaiterait créer : la cité tressée ou encore la cité des vagues pour ne citer qu'elles. Dans sa biographie disponible sur son site, on peut lire sa naissance en janvier en 1944 à Bruxelles puis des dates clefs : « 1976 Début des études de l’archiborescence : auto construction de la maison autonome et écologique Oréjona dans la périphérie de Bruxelles. (…) 1980 Première cité archiborescente dans la bande dessinée Carapaces en collaboration avec François Schuiten. (…) 2015 Exposition METAMORFOSIA à la Fondation Folon à La Hulpe: succès mitigé, accueilli par une presse très critique : « Un mélange peu crédible de bande dessinée, d’écologie, d’architecture, d’urbanisme futuriste… ». (…) 2035 Mort accidentelle de L.S. lors d’un vol d’essai en ornithoplane à ailes battantes. 2040 Suite aux multiples catastrophes climatiques et environnementales des années 2038, redécouverte de l’archiborescence et décision de l’ONU d’inscrire en priorité la poursuite des recherches entreprises naguère par L.S pour la sauvegarde de la planète. (…) 2097 Inauguration de la première cité tressée à Bruxelles à l’emplacement d’une ancienne usine d’assemblage de voitures. » Nous avons parlé d'anticipation ? D'utopie ? Mais est-ce un leurre que d'envisager une vie en harmonie avec une nature qui est l'essence même de la vie, qui est la base de cette terre sur laquelle on vit mais avec laquelle on devrait plutôt apprendre à vivre ?
Luc Schuiten, panorama de Strasbourg pour 2115, septembre 2014. © Luc Schuiten.
Le projet de Luc Schuiten de cité végétale pour Strasbourg, on le découvre à la fin de l'exposition, après avoir parcouru les divers projets pour une vie à l'écoute de notre monde de cet "artiste-chercheur-inventeur-bâtisseur-bricoleur de génie-developpeur". C'est une cité nouvelle dans laquelle nous pourrions être mais être autrement, une cité dans laquelle la Cathédrale aurait une seconde flèche, végétale cette fois et où d'autres bâtiments seraient tressés et s'entremêleraient ou remplaceraient des structures déjà existantes : « La plupart des villes de demain seront l'aboutissement de nombreuses et lentes mutations de nos villes actuelles. La ville végétale, c'est la nature qui retrouve un droit de cité dans l'espace urbain, ce sont les citadins qui se reconnectent à un environnement naturel, ce sont les hommes qui retrouvent leurs racines. », telle est la proposition de Luc Schuiten. À bon entendeur...
Luc Schuiten, projet pour les Nids de Palerme, 2015. © Luc Schuiten.
Bouquiner dans un nid suspendu à un arbre, c'était possible il y a une dizaine de jours à Strasbourg, quai des Alpes. Je n'y ai passé qu'une vingtaine de minutes et c'était un peu court en fait. « L'absence de l'autre me tient la tête sous l'eau ; peu à peu, j'étouffe, mon air se raréfie : c'est par cette asphyxie que je reconstitue ma "vérité" et que je prépare l'Intraitable de l'amour. » (fin du chapitre absence, p. 24) ; « angoisse. Le sujet amoureux, au gré de telle ou telle contingence se sent emporté par la peur d'un danger, d'une blessure, d'un abandon, d'un revirement – sentiment qu'il exprime sous le nom d'angoisse. » (p.37). Ah ben je l'ai quand même avancé ce petit Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes dont j'ai poursuivi la lecture au creux du nid dans lequel j'ai été perchée et arnachée au soir du dimanche 17 mai.
"Mon" nid ! Luc Schuiten / ENSAS, Nids de Palerme, 2015. © Luc Schuiten. Photo: C.R.
Dans le cadre de l'exposition Cités Végétales en 2115 de Luc Schuiten présentée jusqu'au 7 juin au Shadok, une soixantaine d'étudiants de l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Strasbourg (ENSAS) a conçu des nids qui ont été suspendus face à la presqu’île Malraux, aux platanes du Quai aux Alpes. Ça a duré quatre jours, du 15 au 18 mai. Il y avait plusieurs façons de grimper à ces nids tirés de l'imagination de Luc Schuiten, soit on montait au moyen de matériel d'escalade soit c'est la structure qui descendait (c'est dans ce dernier que je suis montée, limite, c'était trop facile). Mais, quoiqu'il en soit, tous portaient un baudrier et étaient accrochés au faîte du nid afin d'être sécurisés. Ce fut une vingtaine de minutes qui, si j'avais eu peur du vide, auraient pu être longues mais où il fut juste temps de voir et percevoir la vi(ll)e autrement, accompagnée d'un bon bouquin à défaut de quelqu'un (ce qui aurait pu être le cas, les nids étaient prévus pour plusieurs). Expérience éphémère, néanmoins, c'était ce qu'il fallait : s'immerger dans un environnement autre, naturel, qui coupe mais fait découvrir autrement ce que l'on a autour de soi.
Cécile.
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Le Shadok
25 presqu'ile André Malraux, 67100 Strasbourg
Horaires:Lundi – Mardi : Fermé
Mercredi – Jeudi : 10:00 – 19:00
Vendredi : 10:00 – 22:00
Samedi : 10:00 – 19:00
Un Dimanche sur deux : 11h à 18h
Dimanches ouverts en mai le 10 et le 24.
Jours fériés : Fermé