Les artisans qui bâtissaient les tombes royales des pharaons égyptiens le long du Nil, depuis la ville moderne de Louxor, travaillaient dans des conditions exténuantes, mais ils pouvaient prendre un jour de congé maladie payé ou se rendre dans une "clinique" pour un bilan de santé gratuit.
Anne Austin, chercheur postdoctoral à Stanford, examine les restes de squelette d'un ancien égyptien trouvés dans les sites funéraires de Deir el-Médineh. Image courtesy of Anne Austin
Depuis des décennies, les égyptologues ont trouvé des preuves de ces prestations de soins de santé dans les documents écrits bien préservées du site. Austin, cependant, spécialiste en ostéo-archéologie, a mené la première étude détaillée des restes humaines du site.
Elle a comparé les artéfacts textuels de Deir el-Médineh avec les éléments physiques de santé ou de maladie afin de créer une nouvelle image plus compréhensible de la façon dont vivaient les travailleurs égyptiens.
Dans les restes de squelettes qu'elle a trouvé dans les cimetières du village, elle a vu des "preuves pour des soins de santé subventionné par l'État parmi ces travailleurs, mais aussi le stress professionnel important induit par la pression de ce même Etat".
Le travail quotidien et les paiements enregistrés confirment les éléments physiques: les hommes de Deir el-Médineh bénéficiaient d'une protection de santé unique et complète, mais parfois ne pouvaient en profiter.
Par exemple, Austin a vu sur une momie des traces d'ostéomyélite, une inflammation de l'os due à une infection hématogène: l'homme avait manifestement travaillé avec cette infection ravageant son corps. "Les restes suggèrent qu'il avait du travailler pendant le développement de l'infection" dit-elle, "alors qu'il aurait du s'arrêter, pour une raison quelconque, il avait continué".
Les travailleurs étaient payés pendant leur congé de maladie, d'après ce que nous apprennent les données manuscrites, mais ils "ressentaient une pression les faisant travailler malgré la maladie, peut-être pour remplir des obligations tacites à l'état à qui ils devaient tant. Plus j'en apprend sur l'Egypte, plus je pense que l'ancienne société égyptienne était similaire à la société américaine actuelle" ajoute Austin, "Des choses que nous considérons comme des créations de la société moderne, comme la protection de santé ou les grèves, sont aussi visibles dans ce passé reculé".
Les indices dans les os
Deir el-Médineh se trouve à une heure d'ascension à travers la montagne surplombant la Vallée des Rois. Elle abritait principalement des travailleurs au cours des 19ème et 20ème dynasties (1292-1077 avant l'Ere Commune). Son apogée est postérieure à l'occupant le plus célèbre de la vallée, Toutankhamon, mais contemporaine du pharaon qui était probablement le plus grand d'Egypte: Ramsès II et sa longue lignée de successeurs.
Les travailleurs qualifiés de Deir el-Médineh avaient des connaissances considérables en ingénierie et un niveau inhabituel d'alphabétisation. Ils ont laissés des milliers de documents écrits: des factures, des lettres personnelles, des plaintes et des prières sur des tessons d'argile, des éclats de pierre et des morceaux de papyrus.
Les sites funéraires de Deir el-Médineh ont été fouillés de 1922 à 1951 par l'égyptologue français, Bernard Bruyère, mais la science de l'ostéologie n'en était qu'à ses débuts, et Bruyère a laissé de nombreux corps non étudiés dans leurs tombes.
Austin a visité ces tombes en 2012 pour un mémoire de recherche, et trouva les corps "entassés avec des chauves-souris, des rats et des momies". Beaucoup de ces momies n'étaient plus que des squelettes, permettant à Austin de voir nettement l'état de santé de ces gens comme le témoignaient leurs ossements. Sur beaucoup de corps, elle a vu des traces de stress dues à une ascension pénible (aujourd'hui ce sont encore mille marches en pierre) entre Deir el-Médineh et la Vallée des Rois, puis ils devaient ensuite faire le chemin retour.
Elle a découvert que le niveau d'arthrite dans les genoux et les chevilles des hommes de Deir el-Médineh était significativement plus élevé que pour les populations de travailleurs dans d'autres cimetières égyptiens.
Les ossements ont également révélé des indices corroborant d'autres découvertes de spécialistes: les égyptiens gravement handicapés étaient bien soignés. "J'ai trouvé les restes d'un homme qui est mort à l'âge de 19 ou 20 ans et qui était né sans l'usage de sa jambe droite, probablement à cause de la polio ou d'un autre trouble neuromusculaire" rapporte-t-elle, "pour travailler dans les tombes royales, ce qui était le seul but du village, il fallait pouvoir grimper". En examinant le squelette du jeune homme elle n'a pas vu de "signes d'autres problèmes de santé, ou d'une vie difficile. Cela suggère, d'après moi, qu'ils lui ont trouvé un rôle dans la communauté, même si la tâche prédominante, travailler dans les tombes, n'était pas possible pour lui".
Faisant référence à d'anciennes idées, le travail de recherche d'Austin sur l'histoire des soins de santé dans la société invite à une plus grande discussion sur la façon dont les anciens peuples percevaient la santé et la maladie, ainsi que le lien antre la richesse et la responsabilité sociale.
"Une femme appelée Naunakhte avait huit enfants" ajoute Austin, "dans son testament, elle a réprimandé et déshérité quatre d'entre eux pour l'avoir négligée au cours de sa vieillesse. A Deir el-Médineh, il y avait deux réseaux de soin de santé. Il y avait un réseau professionnel, subventionné par l'État, qui pouvait ainsi obtenir ce qu'il voulait (une belle tombe pur le roi); et en parallèle, il y avait un réseau privé, constitué de familles et amis. Et ce réseau prenait soin de ses membres, par crainte d'une honte publique, comme un déshéritage ou un divorce."
Austin a trouvé les idées égyptiennes sur la santé particulièrement convaincantes et fructueuses pour un débat, car, pense-t-elle, leurs idées sur la maladie ressemblaient beaucoup aux nôtres.
Alors que les grecs croyaient que la maladie découlait d'un déséquilibre des fluides corporels, "les égyptiens pensaient à une sorte de contamination de l'organisme. Pour aller mieux, au lieu de se rééquilibrer, il fallait purger le contaminant."
Par exemple, un docteur, dans le Papyrus Edwin Smith, traite un patient avec une plaie ouverte sur un bras cassé en plaçant des coquilles d’œufs d'autruche broyées dans la plaie et en prononçant "Repousse l'ennemi qui est dans la plaie; chasse le mal qui est dans le sang".
"Ceci est très similaire à la théorie des germes moderne" dit Austin, "cela montre une prise de conscience de la maladie comme étant externe."
Source:
- Past Horizons: "First detailed study of Ancient Egyptians at Deir el-Medina"
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