Emmanuelle Bercot, qui vient de recevoir le prix d’interprétation féminine à Cannes pour Mon roi de Maïwenn, est aussi réalisatrice. Cette semaine est sortie en salle son dernier long métrage, La tête haute, un drame très fort porté par l’interprétation magistral du jeune Rod Paradot, véritable tête brûlée. Avec une approche quasi-documentaire, Bercot relate l’itinéraire d’un jeune désorienté et le suivi exemplaire de l’équipe socialo-juridique qui le suit avec beaucoup d’empathie, parfois trop.
Malony (Rod Paradot) est un jeune en manque de repère, élevé par une fille-mère immature Séverine (Sara Forestier). Fréquemment appelé à rencontrer la juge des enfants (Catherine Deneuve dont on déjà parlé pour L’homme qu’on aimait trop, Dans la cour et Trois coeur) pour de multiples délits et suivi par un éducateur, Yann (Benoît Magimel qui jouait le fou dans La French), Malony peine à entendre le message des adultes qui l’entoure et s’enfonce à la fois dans la précarité et la violence.
La juge (Catherine Deneuve) et Malony (Rod Paradot)
A l’image de La loi du marché, dont nous ne tarderons pas de parler bientôt, La tête haute adopte un style documentaire très efficace. Emmanuelle Bercot montre une France que l’on ne veut pas voir, une jeunesse désœuvrée et délinquante, où la misère économique a engendré la misère intellectuelle et celle-ci une véritable misère sociale. Mis au bans par nos politiques qui préfèrent détournés les yeux du monstre qu’ils ont créé, celle-ci est parfaite pour qu’on lui colle toute le malheur du monde. Loin de la responsabiliser, on la rend responsable de tous les maux. Il n’y a qu’à voir les déclarations dégradantes de certains élus, Christian Estrosi en tête pour mesurer l’ampleur de leur bêtise, celui considérant que des enfants jouant au foot sont des délinquants en puissance. D’un côté, les tenants d’une répression aveugle que la cécité de la Justice arrange bien et de l’autre ceux d’une justice adaptée, laissant tombé son bandeau et capable de regarder les particularités de chaque cas en face, droit dans les yeux. C’est cet idéal que semble défendre la juge des enfants incarnée par Catherine Deneuve. C’est en cela que le film est séduisant et trouvera son public, La tête haute faisant l’apologie d’une justice humaine plutôt du tout répressif prôné par une droite dure préférant cacher les problèmes plutôt que de les régler en profondeur. D’autant plus qu’il marquera le public par de véritables moments de grâce, notamment à travers l’histoire d’amour de Malony et Tess (Diane Rouxel).
Malony (Rod Paradot) et Séverine (Sara Forestier)
Toutefois, c’est aussi par cet aspect que La tête haute semble parfois passé à côté d’un sujet trop vaste. Car en amont, il y a des conditions de vies dont le scénario fait très peu cas. Et généralement, le film montre Malony dans ses rapports avec la Justice, jamais dans son quotidien. Bien sur, on évoque la toxicomanie de la mère, le fait qu’elle soit dépassée, presque incestueuse et constamment au chômage mais on ne s’attarde jamais sur les choix politiques qui ont accentué la ghettoïsation de nos quartiers les plus sensibles. De la même manière, il n’est évoqué que par instant le fait que la juge mise en scène soit exceptionnellement impliquée. L’ensemble donne l’impression que la norme est à la discussion, à la recherche de solutions pérennes pour la société comme pour les accusés. Pourtant, la casse continue du système judiciaire, tendant à rendre la grande aveugle plus expéditive que jamais, a fait bien des dégâts. Bien sur, des jeunes gens comme Malony ont une responsabilité personnel dans leur malheur, ce que ne manque pas de faire remarquer La tête haute, mais le long-métrage pourrait avoir un effet pervers, laisser croire aux téléspectateurs que tout est fait, systématiquement, pour les sortir de leur infortune. Laissant par la même, l’impression que ceux qui ne s’en sortira pas l’aurait nécessairement mérité. Ce qui sera vrai pour une part mais fondamentalement réducteur des difficultés et de la complexité de la problématique.
Malony (Tod Paradot) et Yann (Benoît Magimel)
Le (petit) problème de La tête haute est peut-être l’omniprésence de personnages altruistes. Dans la réalité, il y a des juges qui ont plus de vices que le dealer de ma rue et des dealers qui ont si bien intégré le système qu’après tout, il ne font qu’imiter le banquier de ma rue. Malgré tout, Emmanuelle Bercot montre l’envers du décors, le travail de l’ombre de fonctionnaires consciencieux, dont le travail souvent décriés par des politiques véreux, est indispensable. Hormis les lacunes évoquées plus haut, La tête haute restera un magnifique plaidoyer pour une justice à visage humain.
Boeringer Rémy
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