PAR BERNARD VASSOR
JOSEPH LEMAIRE DIT DARCIER
Le chansonnier des sublimes !
Aujourd'hui oublié, Joseph Lemaire dit Darcier né en 1819, débuta sa carrière en 1842 sur les théâtres de banlieue, dans l'emploi de jeune premier dans les drames populaires : La Dame de Saint-Tropez.
Lemaire, cependant, n'avait pas de vocation théâtrale décidée; c'est la carrière lyrique qui lui convenait davantage,et les précieuses leçons de chant et d'harmonie, que lui donnait Delsart ne pouvaient que le confirmer dans sa détermination.
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En 1848, les élèves manquèrent à Darcier.; il entra alors,comme chanteur,dans un petit café du faubourg Saint-Martin.Là, un acteur qui doublait Lafont aux Variétés, un certain Romand, l'entendit, se prit d'enthousiasme et fonda ,un Estaminet lyrique,à l'entrée du passage Jouffroy (actuel numéro 11). Située au premier étage, la salle du nouveau concert précédemment occupée par un club, était étroite, longue et pourvue d'une scène. Dès les premiers soirs,le succès de Darcier fut immense. Les chansons de Pierre Dupont, d'abord, défrayèrent le programme: les Louis d'or, le Pain, la Vigne,produisaient, grâce à l'interprète, un effet irrésistible; puis Darcier varia son répertoire avec les refrains nouveaux de Gustave Mathieu, de Gustave Nadaud et de Charles Vincent. Sans dédain pour les œuvres légères, il ne craignait pas de chanter, après Déjazet, le Postillon, de Bérat, et la Tirelire à Jaquot,de Clapisson, après Géraldy; ces audaces étaient justifiées par les bravos du tout Paris qu'il faisait,en outre, juge de sa valeur créatrice en lui soumettant ses musiques écrites sur le Bohémien de Mathieu, sur Mam'selle Marie de Boudin, et vingt autres compositions qu'on s'accordait à trouver remarquables. La vogue de Darcier dura deux années,accrue encore par l'ouverture des concerts populaires de La Fraternité,à la salle Martel. Deson fait, Jean Raisiny naquit pour vivre jusqu'aux derniers jours de la chanson française.L'artiste se partageait, sans fatigue et avec des chances égales,entre La Fraternité et L'Estaminet lyrique. Le théâtre des Variétés, proche voisin de ce dernier concert, finit par s'émouvoir d'une concurrence redoutable; il engagea Darcier, mais pour le soumettre au débilitant régime de 1a romance: ainsi compris,le traité n'eut et ne pouvait avoir qu'une courte durée. Affranchi, Darcier composa les airs superbes des chansons de Charles Gille, entreprit une excursion en Belgique,et chanta successivement à Lyon,à Marseille, au Havre et dans quelques autres villes; la province et l'étranger ratifièrent les favorables jugements de Paris,(...)
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L'éclatant succès remporté par sa sœur de un an son aînée, sous le nom de Mademoiselle Darcier , à l'Opéra-Comique, amena Joseph, à abandonner son nom pour adopter celui celui de sa sœur qui remportait un immense succès comme chanteuse.
Célestine-Hyacinthe Darcier 1818-1870, a été une cantatrice mezzo-soprano, elle débuta à l'Opéra-comique le 21 mars 1840, allant de triomphe en triomphe. Elle quitta la scène 10 ans après pour se marier en 1850 et prendre le nom de Mamignard. Elle fit un bref retour à l'Opéra en 1852
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Les chansonniers qui alors contrebalançaient son immense popularité, étaient Gustave Leroy et Charles Gille. Ils formaient un triumvirat qui avait toutes les sympathies de la population ouvrière.Leurs noms étaient connus et appréciés à leur juste valeur dans tous les ateliers des faubourgs et de la banlieue. Colmance aimait la vie ouvrière avec ses vertus et ses défauts, ses excentricités et ses débauches. Il aimait à fréquenter l'établissement de ce cher ami Savart, vigneron de la rue Conrad à Charonne. Ah! qu'il était heureux en ce temps-là, où il avait la gaieté et la santé, de pouvoir aller avec quelques camarades se balader aux environs de Paris ! À Bagnolet, à Saint-Ouen ou à Argenteuil (lieux fréquentés aussi par Jean Baptiste Clément), manger une gibelotte de lapin Dans ces agapes fraternelles, on était quelquefois à court d'argent, mais jamais d'esprit. L'esprit servait d'assaisonnement aux plats et donnait un fumet particulier et de bon aloi au petit bleu ou à la piquette aigrelette du cru.
Cette oeuvre musicale de Darcier fut interprétée par Antoine Renard, le compositeur du
"Temps des cerises"
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Pendant la seconde partie du XIX° siècle Joseph Lemaire fut l'artiste le plus choyé, on l'aimait, on l'applaudissait dans toutes les goguettes où il se produisait. Voici les noms des principales goguettes où il était devenu un demi-Dieu : Les Templiers, rue Saint-Martin , Les infernaux, rue de la Grande-Truanderie, Le Sacrifice d'Abraham, en face du Palais de Justice, La Pipe, rue Frépillon; Les Épicuriens,rue de Vendôme les Insectes, boulevard de la Chopinette, le Lièvre et le Lapin, à Belleville; Les Enfants du Temple et Le Banquet du Jeudi ou les Lapiniers. Ce fut dans cette goguette des Lapiniers que, vers 1842, il chanta le Cochon d'Enfant, la Gueule à quinze ans, une Noce à Montreuil, ce titre de la chanson une Noce a Montreuil,nous rappelle M. Denis Poulot :
Si nous allions à Montreuil.
Allons, viv'ment qu'on s'embarque.
«J'possède un' couple d'écus.
Tapez, tapez-moi là-d'ssus,
Tapez, tapez-moi là-d'ssus,
Savart, craignant qu'y' n' s'insurge,
Tapez, tapez-moi là-d'ssus.
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L'ESTAMINET LYRIQUE DU PASSAGE JOUFFROY,
Ce lieu a été une salle de spectacles dès l'ouverture du passage en 1846. En 1846, c'est un théâtre d'ombres chinoises qui ouvre ses portes, avec une entrée par un couloir du passage, et une autre ouverte plus tard, à l'arrière de l'hôtel Aguado, mairie du IX° arrondissement. Le théâtre d'ombre laissa rapidement place à un cabaret chantant : "L'estaminet Lyrique" .Les artistes en vogue s'y produisaient, ainsi que des saltimbanques, prestidigitateurs, acrobates et chanteurs de goguettes. Pendant la révolution de 1848, la salle fut louée pour la tenue de réunions politiques. C'est là que se trouvait leClub des Artistes dramatiques,fondé on avril 1848, dont voici la composition selon Alfred Lucas, l'historiographe des clubs révolutionnaires :"Président, Tisserant; membres dit bureau, Bignon, Rhozevil, Ludovic; secrétaire, Pierron. Ce club s’est fait remarquer par son excellent esprit. Le citoyen Bocage n’y obtenait pas même les succès négatifs auxquels on a donné le nom de succès d’estime; souvent lorsque la nuance de ses discours était par trop écarlate, la plupart des membres du club se permettaient de l’appeler Azor. Le club des Artistes dramatiques avait choisi pour son candidat, lors des élections d’avril, M.Samson, artiste distingué dont on aime à louer le noble caractère, après avoir applaudi le talent dont il fait preuve chaque soir sur notre première scène. M. Samson s’exprimait ainsi lors de la dernière séance annuelle de l'association des Artistes dramatiques. « Partout à côté des douleurs réelles il y a des douleurs factices beaucoup plus bruyantes. Si des associations pareilles à la nôtre se répandaient sur une plus grande partie du sol, elles feraient bientôt connaître les unes et les autres. La paresse et l'incapacité, ces deux grands agitateurs publics, n’auraient plus la ressource de se cacher dans la foule. Est-il juste de vouloir transformer la pouvoir en une providence chargée de nous verser une manne incessante? Faut-il toujours l’accuser et le punir de nos misères? Avant de nous adresser à lui, adressons-nous d’abord à nous-mêmes, à nos propres ressources; ayons notre budget comme 1’Etat a le sien...’ Voilà, certes, de nobles paroles et qui ne seraient pas déplacées à la tribune de l'Assemblée nationale." .............................. mise à jour le 25 mai 2015 a suivre.................................