Tapisserie ? de Picasso à Messager

Publié le 25 mai 2015 par Pralinerie @Pralinerie
Qu'est donc devenue la tapisserie ? Vous savez, cette oeuvre prestigieuse, que l'on pendait sur les murs des châteaux pour garder la chaleur et décorer les murs ? C'est obsolète comme art, non ? Eh bien le musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine à Angers va vous prouver le contraire. La tapisserie, c'est moderne ! Et c'est un lieu d'expérimentation pour les artistes contemporains.

Détail de L'homme de Jean Lurçat, 1945, MAM


La renaissance de la tapisserie, on la doit à Jean Lurçat. Ce peintre, tombé amoureux de la tenture de l'Apocalypse, visible au chateau d'Angers, décide de redonner ses lettres de noblesse à cet art. Comprise jusqu'alors comme la transcription en fils de laine et de coton d'une oeuvre peinte, la tapisserie devient pour lui un lieu de création propre, décorrélé de la peinture. Il imagine ainsi ses cartons et sa gamme de couleurs, qu'un licier exécute (et là, pas possible de laisser cours à sa créativité, les couleurs sont limitées à 44). Reproductible, la tapisserie est pour lui un moyen de démocratiser l'art. Parmi les tapisseries exposées, vous en trouverez une tout à fait étonnante de Rouault. Penchez-vous. Regardez bien. Ce n'est pas du tout une peinture, c'est bien une tapisserie ! La subtilité des nuances et la finesse de l'oeuvre vous ont fait douter.

Triptic aspre dolç de Joseph Grau-Garriga, 2000, Angers


Quelques pas plus loin, vous entrez dans un univers bien différent. Ici, plus question de liens entre peinture et tapisserie, entre artiste et licier. L'artiste fait tout. Dans cette salle consacrée aux artistes de la "Nouvelle tapisserie", nous élargissons nos horizons. Nous n'avons plus seulement de la laine et du coton devant nous mais une multitude de matériaux, du tissage en graminées (une oeuvre absolument fantastique de Cueco, à la fois aérienne et virtuose) à celui qui intègre un panier en vanerie ou un vêtement. Les repères changent. Ce qui était considéré comme un raté devient l'objet d'une oeuvre comme le potomé (c'est quand tu rajoutes de la peinture sur ta tapisserie parce que tu t'es planté dans les couleurs) ou le tuyau d'orgue (un renflement pas très élégant parce que la tension de tes fils n'était pas bonne). Puis les œuvres tendent à se détacher du mur pour devenir des sculptures textiles : Dooomestic de Messager a un véritable relief, la robe de mariée de Lortet utilise bien le fil et le crochet mais pour créer une oeuvre en 3 D. 

La mémoire, une dentelle de mots de Fanny Viollet, 2004, Angers


Parmi son exploration, le musée s'intéresse au lien entre un art pensé comme féminin, celui de l'aiguille, et sa réinterprétation par des artistes femmes. Certes, l'art du licier est celui d'hommes mais celui de la couture est pensé comme domestique. Cet enfermement dans la sphère privée, dans les travaux mineurs, Messager excelle à les dénoncer. L'attention est aussi retenue par la chemise de nuit de Fanny Viollet qui, au lieu de cacher le corps, montre ses formes et le dévoile en en brodant les contours. Le texte qui dessine ces courbes, le Cantique des cantiques, en fait un hymne à la femme et à l'amour. J'adore ! Quant à la dernière salle, elle présente des œuvres très récentes, qui jouent sur l'apparence de la tapisserie. Est-ce un rideau, un tapis, une peinture ? Et ce pull, que signifie-t-il ? Aligner des pulls compose-t-il une tapisserie ? En explorant la variété inventive des créations très contemporaines, le musée d'Angers nous invite à interroger notre conception de la tapisserie et à élargir notre regard à toutes les nouveautés de l'art textile. Le "?" du titre n'est donc pas innocent et invite réellement à questionner un art que j'imaginais à la fois bien rangé et bien défini !  Pourquoi pas une petit pause à prévoir sur la route de vos vacances ? L'expo dure tout l'été !