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"Check-point" de Jean-Christophe Rufin

Publié le 23 mai 2015 par Francisrichard @francisrichard
"Check-point" Jean-Christophe Rufin

Dans la première moitié des années 1990, a eu lieu la guerre de Bosnie. Etait-ce une guerre civile? Etait-ce une guerre inter-ethnique? Etait-ce une guerre interreligieuse? Tout cela à la fois, sans doute. Avant cette guerre indéfinissable, les habitants de Bosnie étaient tous yougoslaves et dans les villes ils étaient tous mélangés... et maintenant ils savent qu'en donnant leur nom, cela permet de savoir à quelle communauté ils appartiennent...

Dans ce contexte de guerre singulière, confuse, où les zones ethniques - serbes et croates -, et religieuses - catholiques, orthodoxes et musulmanes -, s'entremêlent et sont délimités par "des séparations imprévisibles et mouvantes",  Jean-Christophe Rufin situe son roman Check-point: "Le mot apatride "check-point", utilisé par tout le monde sur le terrain rendait mieux compte de l'aspect improvisé, désordonné, imprévisible et dangereux de ces barrages."

Comme vingt ans se sont écoulés, bien que les blessures de ce conflit ne soient pas complètement cicatrisées, il est tout de même possible de le considérer avec une certaine distance et de se poser des questions sur la forme que doit prendre une intervention humanitaire dans de telles circonstances, complexes, et dans des circonstances actuelles.

En 1994-1995, un convoi de l'ONG La Tête d'Or, quitte Lyon pour Kakanj, en Bosnie. Il est composé de deux camions chargés de médicaments et de vêtements. A bord de ces deux camions, se trouvent une femme et quatre hommes, fort différents, de par l'âge, de par ce qui les a décidés à participer à cette expédition:

- Maud a vingt et un ans. Cette blonde aux yeux bleus se protège du regard des hommes derrière de grossières lunettes. Cette idéaliste est vite déçue par l'ambiance tendue qui règne parmi les participants à cette mission humanitaire, qui ne ressemble pas au rêve lumineux qu'elle s'en faisait.

- Lionel est le chef de la mission humanitaire. Il est dans le milieu de la vingtaine. Il n'est pas très sûr de lui et manque de réelle autorité sur les autres. Il a entraîné Maud dans cette galère risquée parce que, sans se l'avouer, il cherche à la séduire en essayant d'exercer sur elle son ascendant de chef.

- Alex ne doit pas être beaucoup plus vieux que Lionel. C'est un ancien appelé du contingent, Casque bleu de la FORPRONU. Il veut revenir en Bosnie, plus précisément à Kakanj, destination de la mission, parce qu'il a connu là-bas une jeune fille, Bouba, dont il est tombé amoureux et qui l'attend.

- Marc est un ancien militaire de carrière et ... ancien Casque bleu de la FORPRONU où il s'est lié d'amitié avec Alex. En fait, il ne participe pas à cette mission pour apporter de l'aide humanitaire. Il a choisi son camp, celui des Croates et des musulmans, coalisés contre l'hégémonie serbe, et veut leur apporter une tout autre aide:

" Il y a des criminels de tous les côtés, dit Marc d'une voix sourde, et il y a des victimes de tous les côtés, c'est entendu. Mais l'on ne peut rien faire, si l'on s'arrête à ça."

- Vauthier suscite l'antipathie de tous. C'est le plus âgé. Il furète partout. Ses compagnons de mission ne l'aiment guère, le craignent. Ils pensent tous qu'il est flic, alors qu'il s'enorgueillit d'être un fouineur, un indicateur indépendant, monneyant ses services. Il poursuit Marc d'une haine tenace, inexplicable pour Lionel, à qui il répond:

"La haine, c'est le bonheur, tu ne sais pas encore ça, toi. C'est une passion, une raison de vivre. C'est un vrai luxe. Le seul, peut-être."

Il ne faut pas s'étonner que les participants à la mission, pousuivant des objectifs incompatibles, finissent par se séparer en deux groupes non homogènes, d'un côté Lionel, Vauthier et Alex, de l'autre Marc et Maud, que son compagnon n'a finalement pas laissée indifférente, et que les premiers poursuivent les seconds à travers une Bosnie hivernale et enneigée, où sévissent les factions, dressant sur leur route des check-points plus ou moins faciles à franchir.

Jean-Christophe Rufin ménage le suspense jusqu'au bout et le lecteur ne peut lâcher prise jusqu'aux rebondissements finals, inattendus. Route faisant, la mission devenant de moins en moins humanitaire, au sens classique du terme, les cinq personnages, à défaut donc d'être humanitaires, apparaissent, dans une lunière plus crue, sous leurs bons et mauvais côtés, bien humains.

Dans sa post-face, en point d'orgue de ce roman, Jean-Christophe Rufin évoque les victimes nouvelles d'un monde qui a changé depuis, et très vite: les chrétiens d'Orient, les dessinateurs de Charlie, les filles enlevées au Nigéria, les otages égorgés de Syrie, etc... et conclut:

"Des victimes que l'on a envie d'aimer d'un amour particulier: celui qui incite à prendre les armes."

Mais, faut-il vraiment céder à cette incitation?

Francis Richard

Check-point, Jean-Christophe Rufin, 400 pages, Gallimard

Des livres précédents de l'auteur chez le même éditeur:

Sept histoires qui reviennent de loin (2011)

Le collier rouge (2014)


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