Éric Toussaint Parmi les citoyens, il y a des gens qui ont des connaissances très importantes en économie financière, en économie internationale, en audit des comptes publics, en droit international, en droit interne, en droit constitutionnel. Dans la société civile, il y a des compétences qui peuvent être réunies dans une commission car elles dépassent celles des institutions européennes telles que la Banque centrale européenne (BCE), les gouvernements européens, grec, ou même du Fonds monétaire international.
Quelles sont vos marges de manœuvre dans la conduite de votre enquête ?Éric Toussaint Il existe des difficultés. Ce n'est pas parce qu'une organisation progressiste accède à un gouvernement qu'elle est en mesure de faire ouvrir toutes les portes. À la direction des administrations de l'État, il y a des personnes nommées par les exécutifs précédents. À la tête de la Banque de Grèce, on trouve par exemple Yannis Stournaras, ministre des Finances du gouvernement conservateur d'Antonis Samaras. Il n'est pas enthousiaste à l'idée d'ouvrir les comptes rendus des réunions conduites avec la BCE. Avant de quitter le ministère des Finances, désormais occupé par Yanis Varoufakis, il est parti avec toute la documentation. Il a éliminé de la mémoire des ordinateurs toute une série de traces des négociations. Nous allons demander à l'État d'exercer une pression pour qu'il y ait une transparence et l'ouverture d'une série de dossiers. Mais beaucoup de choses sont dans le domaine public. Il nous sera parfaitement possible d'établir un jugement fondé. Nous procéderons à des auditions et convoquerons l'ancien président de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, l'ancien directeur du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn. Nous allons aussi entendre d'anciens ministres du gouvernement de Georges Papandréou qui reconnaissent désormais qu'ils ont participé aux manœuvres des créanciers européens en acceptant de se soumettre à des diktats, et qui le regrettent aujourd'hui.
La dette n'est pas mauvaise en soi. Y a-t-il des manières de financer la dette qui créent plus d'illégitimité que d'autres ?Éric Toussaint Bien sûr. Une dette légitime permet de financer des projets d'intérêt général : les hôpitaux, les établissements scolaires, les infrastructures, les politiques pour une transition écologique, en luttant contre le changement climatique. La BCE devrait pouvoir financer les pouvoirs publics si les politiques suivies sont légitimes. Le fait que les orientations européennes aient décidé de fournir le monopole du crédit aux banques privées crée un élément d'illégitimité. On le voit, les banques empruntent à 0,05 % et prêtent à des taux supérieurs aux États. Si la BCE prêtait directement aux États, on pourrait avoir une politique de relance économique, une croissance compatible avec l'environnement et génératrice d'emplois décents et utiles. On combattrait l'accumulation de dettes qui mène à des déficits fiscaux qui sont par la suite combattus par des politiques d'austérité qui ne font qu'aggraver la stagnation, voire la régression économique.