#Vinsnaturels #VinsSAINSAlors que le label vert européen autorise des dizaines d’additifs et une proportion de soufre élevée, des vignerons revendiquant une vraie viticulture bio connaissent des tracas judiciaires pour refus de pesticides.Le label européen bio autorise l'utilisation de soufre à hauteur de 100 mg/litre pour les rouges et 150 mg/litre pour les blancs. GREG GUILLEMIN
L’association
Les Vins S.A.I.N.S. (« Sans aucun intrant ni sulfite ajouté »), qui compte dix-huit adhérents en France et en Europe, a été créée par
Catherine Vergé, vigneronne dans le Macônnais. Elle part d’une évidence : le vin est du jus de
raisin fermenté et il suffit de le laisser faire sans rien y ajouter. Noble dessein, mais entreprise à haut risque lorsqu’on connaît l’éventail de produits et de pratiques à la disposition du premier œnologue venu.Catherine Vergé en a dressé la liste (à consulter sur le site vins-sains.org) pour les différentes catégories de vins proposées aux consommateurs, au moment où chacun fait assaut de propreté, de prise de conscience écologique et de conversion en agriculture bio, dans un vignoble qui utilise près de 15 % de pesticides sur moins de 4 % de la surface agricole utile (SAU). Qu’en est-il exactement à l’arrivée parmi les multiples labels se réclamant du bio ?
UN LABEL MOINS CRÉDIBLE
Dans le vin conventionnel qui sert de référence, tout est permis : levurage, enzymage, chaptalisation, acidification, adjonction de soufre, etc. Le label bio européen – la feuille sur fond vert – entré en vigueur en 2012 est le plus répandu sur les bouteilles. A l’examen, il permet une quarantaine d’additifs et de manipulations diverses qui vont de l’usage des levures à celui des copeaux de chêne en passant par l’osmose inverse, les préparations enzymatiques et les tanins œnologiques.Le soufre (SO²) y est autorisé à hauteur de 100 mg/litre pour les rouges et 150 mg/litre pour les blancs. Juste 25 % de moins qu’en conventionnel. Nous sommes loin du jus de raisin qui fermente tranquillement et la crédibilité du label bio européen est égale à la confiance que lui accorde un consommateur averti : moyenne. La certification Demeter en biodynamie,la charte de l’Association des vins naturels et celle de
Nature & Progrès,qui n’autorisent qu’un peu de soufre à la mise en bouteille avec un minimum d’intervention sur le vin, sont les plus sérieuses. Ce n’est pas un hasard si moins d’un millier de vignerons peuvent s’en réclamer alors que le label européen fleurit un peu partout.
Ces différences posent, à terme, cette question fatale – et pas seulement à propos du vin : « de quel bio est-on ? » De celui qui s’accommode des exigences du marché et de la grande distribution pour faire du « presque propre » ? Ou de celui qui reste fidèle aux principes de respect de l’environnement et des produits, à l’écart des pratiques agrochimiques ?Thibault Liger-Belair appartient assurément à la seconde catégorie, ce qui lui a valu
de comparaître le 19 mai devant le tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône pour «
refus d’effectuer les mesures de protection des végétaux », en l’espèce la
« lutte insecticide contre le vecteur de la flavescence dorée ». Vigneron en bio de nuits-saint-georges (Côte-d’Or) et de moulin-à-vent, il a refusé de traiter préventivement contre cette maladie incurable, véhiculée par la cicadelle. Parce qu’il s’interdit toute molécule de synthèse dans ses vignes et parce que le foyer de la flavescence se trouve à Plottes, à 40 kilomètres de chez lui, sur un cépage chardonnay alors qu’il est entièrement en gamay. En outre, son domaine étant à cheval sur le Rhône et la Saône-et-Loire, et seule la préfecture de Saône-et-Loire ayant imposé le traitement, il se réclame de celle du Rhône qui, elle, ne l’exige pas.
L’OUVERTURE D’UN DÉBAT SUR DES SOLUTIONS ALTERNATIVES
Les tracas judiciaires de Thibault Liger-Belair sont surprenants car en décembre 2014,
la cour d’appel de Dijon avait relaxé Emmanuel Giboulot, vigneron à Beaune, poursuivi pour les mêmes motifs. L’un comme l’autre ont toujours répondu aux accusations d’irresponsabilité et de mise en danger du vignoble que, si la flavescence était là, ils la traiteraient comme tout le monde. Mais elle n’était pas là et, selon Jean-Yves Bizot, président de la commission technique de l’interprofession,
« les zones de traitement ont diminué » et la présence de la maladie a connu une
« forte baisse »en 2014 avec
« quelques foyers en Saône-et-Loire et des zones très localisées en Côte-d’Or ».
En ressortant « blanchi » du tribunal, Emmanuel Giboulot s’était déclaré heureux d’avoir engagé le débat sur les pesticides et les solutions alternatives telles que l’usage de prédateurs de la cicadelle. Aux juges de Villefranche de dire dans quel sens ils entendent poursuivre le débat et si la loi est la même en Côte-d’Or et dans le Rhône. Ils prendront leur temps, l’audience a été reportée au 17 novembre.
LE MONDE | 21.05.2015