Depuis une semaine, la Présidente Cristina Kirchner, dont c'est le dernier 25 de Mayo comme chef d'Etat, multiplie les gestes symboliques, parfois d'une manière assez contestable lorsqu'elle mêle la célébration de sa famille à la grande date nationale.
C'est ainsi que le 19 mai dernier, flanquée des présidentes de Abuelas de Plaza de Mayo et de Madres de Plaza de Mayo, association à laquelle elle n'a jamais enlevé son soutien malgré les malversations financières qui apparaissent de plus en plus dans des comptes sans dote mal tenus (1), et en oubliant Madres de Plaza de Mayo Linea fundadora (!), elle a inauguré un nouveau centre de la Mémoire et des droits de l'Homme au sein du campus de l'ex-Esma, à Palermo.
Une du 20 mai 2015
Cristina à l'ex-Esma entre Estela de Carlotto et Hebe de Bonafini
Hier, elle inaugurait, près du port de Buenos Aires, dans l'ancien bâtiment historique du Correo le plus grand centre culturel d'Amérique latine, consacré aux politiques d'inclusion sociale qui lui tiennent tant à cœur et qui jouent dans son discours politique le rôle d'un véritable mantra (avec quelques réalisations admirables à son actif, reconnaissons-le). Seul problème : le centre en question a été baptisé Néstor Kirchner, du nom de son défunt mari et prédécesseur à la Casa Rosada. Certes, elle dit elle-même, si l'Etat ne le fait pas, personne d'autre ne le fera et on ne peut que lui donner raison. Mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit de son mari et du père de ses enfants, ce qui n'est pas un prédécesseur comme un autre, par quelque côté que l'on prenne la question !
Dimanche, la Présidente devrait présider la translation du sabre de San Martín, que tous les Argentins connaissent comme el Sable Corvo (le sabre courbe), depuis le musée du régiment des Grenadiers à cheval à Palermo jusqu'au Museo Histórico Nacional, de San Telmo (à l'extrémité du Parque Lezama, dont je vous parlais récemment à l'occasion des travaux qui s'y faisaient et ce mois-ci au sujet de sa réouverture). Entre 1889 et les années 1960, le Museo Histórico Nacional était le dépositaire original de cette arme emblématique des campagnes de José de San Martín mais au cours des années 1960, il fut dérobé à deux reprises à cause de la vulnérabilité de l'établissement. Ce ne fut pas sans mal, procès du MNH à la clé, que le Régiment des Grenadiers à cheval a pu se charger du trésor national, à la demande du gouvernement, et en a assuré la sécurité dans le hall d'honneur de sa caserne à Buenos Aires. Et autour de cette arme, précieusement conservée dans un reliquaire blindé, vitré et inviolable, l'unité d'élite a construit son propre musée avec divers documents très précieux qui nous restent du Libertador. Aujourd'hui, le Museo Histórico Nacional s'est mis à jour en matière de sécurité comme en matière muséographique (et c'est vraiment une réussite, comme j'ai pu m'en apercevoir il y a deux ans lorsque j'ai été invitée à l'inauguration des salles San Martín). La Présidente a donc ordonné le transfert de cette pièce-clé du patrimoine national et elle assistera à la cérémonie. Mais là encore, la chose sonne faux : voilà une femme politique qui n'a eu de cesse de mésestimer San Martín (qu'elle connaît très mal, à l'instar de la grande majorité des Argentins) pendant toute la durée de son double mandat au point de ne pas même assister au bicentenaire du combat de San Lorenzo il y a deux ans , y envoyant son vice-président qui a réussi à s'y faire siffler (voir mon article sur ce sujet). Elle lui a toujours préféré Manuel Belgrano, un juriste auquel elle s'identifie plus facilement parce qu'elle est elle-même avocate d'origine et auquel elle n'accorde son titre militaire qu'avec une répugnance visible (ça a le don d'agacer un bon nombre d'officiers !). Pourtant les deux hommes, qui professaient beaucoup d'admiration l'un pour l'autre et suivaient la même ligne politique, ont subi le même sort dans la propagande de la droite que Cristina exècre tant (avec raison) : les deux ont été décrits comme des officiers criards et atteints d'un autoritarisme qui ne les affectait pourtant ni l'un ni l'autre mais les images d'Epinal sont plus fortes que les recherches historiques contemporaines, même dans l'imagination d'un président de la République (2). Dimanche 24 mars, le sabre prendra donc le chemin de San Telmo et là, il sera dans une pièce qui lui a été préparé, avec tous les contrôles de température et d'hygrométrie qu'on peut aujourd'hui mettre en place. Compensation pour les Grenadiers privés de la précieuse relique de leur fondateur dans leurs murs : c'est toujours eux qui en assureront la garde d'honneur et de sécurité. Un salut tout particulier à la conservatrice du musée du régiment (MRGC) et au capitaine chargé du cérémonial, qui ont en ce moment une charge de travail que je peine à imaginer. Songez qu'il y a encore quelques jours, ce transfert devait avoir lieu lundi.
Le calendrier, pourtant connu longtemps à l'avance de la Présidente, change au dernier moment : le chef d'Etat assistera en effet à la basilique nationale de Luján au Te Deum lundi matin (alors que l'année dernière, elle avait enfin accepté de revenir à la tradition, en remettant les pieds à la cathédrale métropolitaine de Plaza de Mayo, qu'elle avait désertée depuis un désaccord fameux avec le cardinal Bergoglio). Et encore du travail pour le capitaine qui doit se taper l'organisation des choses à Luján, à 70 km à l'ouest de Buenos Aires, tout en veillant aussi aux affaire entre Palermo et San Telmo. Heureusement qu'il n'est pas tout seul...
Une de ce matin
A partir de ce soir, important programme de concerts et d'activités publiques d'accès libre et gratuit sur la grande scène montée sur Plaza de Mayo, devant la Casa Rosada.
D'aujourd'hui à lundi, aux alentours de la Plaza de Mayo, le long de la Diagonal Sur (avenida Julio Argentino Roca), se tiendra un marché artisanal intitulé Feria de Productos de nuestra Tierra. Sur l'autre diagonale, celle qui monte vers le sud et l'Obélisque, exposition scientifique et technique, avec des jeux pour les enfants : Muestra Innovar. Un peu plus loin, sur les avenues Belgrano et 9 de Julio, se tiendra une exposition sur la Justice et les droits de l'Homme, autre grande thématique des trois mandats kirchneristes (celui de Néstor et les deux de Cristina). Le tout avec un hommage marqué à Eva Perón, que Cristina vénère.
Ce soir, sur la scène de Plaza de Mayo, on retrouvera entre autres le groupe féminin China Cruel, la Orquesta Rascacielos, La Chiclana, Escalandrum de Pipi Piazzolla (pour Piazzolla x Piazzolla), Guillermo Fernández et le folkloriste natif du Chaco (comme son nom l'indique), El Chaqueño Palavecino (une grosse vedette du show-biz), ainsi que la compagnie de danse de Tango et de Folklore. Ce sera entre 19h et 23h30, en plein air.
Demain, de 16h à 23h30, d'autres artistes se succéderont, encore plus nombreux parmi lesquels Richard Coleman !
Dimanche, aux mêmes heures, essentiellement des folkloristes, dont l'auteur-compositeur interprète Liliana Herrero. Et un hommage à Mercedes Sosa intitulé Traigo un pueblo en mi voz (j'apporte tout un peuple dans mon chant).
Et enfin lundi, de 16h à 23h30 également, du folklore, de la danse, du rock, du jazz et un peu de tango, avec un hommage à Carlos Gardel, dont on célébrera dans un mois les 80 ans de sa disparition. Parmi les artistes annoncés : l'auteur-compositeur interprète Litto Nebbia, le chanteur désormais soliste Walter Chino Laborde et le folkloriste-jazzman Ignacio Guido Montoya Carlotto, le petit-fils retrouvé de Estela de Carlotto ! Belle revanche des victimes sur les criminels de la Dictature, encore que le symbole soit un peu lourd, mais bon, tous ces gens qui sont aujourd'hui au pouvoir en Argentine se souviennent encore bien de leurs souffrances pendant les sept ans du gouvernement putschiste.
Pour aller plus loin : lire l'article de Página/12 sur l'inauguration du Mémorial à l'ex-Esma lire le communiqué de la Présidence sur le même sujet lire l'article de Página/12 sur l'inauguration du Centro Cultural Néstor Kirchner (dans les deux cas, les aménagements semblent particulièrement réussis) lire le communiqué de la Présidence à ce sujet lire l'article de Página/12 du 15 mai sur l'ensemble du programme lire le communiqué de la Présidence sur le sujet lire aussi le communiqué de la Présidence sur la translation du Sabre de San Martín (sans être faux, ce n'est pas tout à fait exact. C'est arrangé à la sauce pompeuse qui indique bien qu'il y a là-dessous une intention politique, comme si c'était inévitable en campagne électorale. Dommage !) Tous les communiqués de la Casa Rosada comportent des reportages vidéos intégrés.
(1) Il est peu probable qu'il y ait intention de fraude ou de nuire, en tout cas dans le chef de Hebe de Bonafini, la présidente tant décriée. En revanche, il semble qu'il y ait eu chez elle beaucoup de légèreté dans la délégation de signature. (2) De toute évidence, et pour une fois Clarín n'a pas tort, la manœuvre n'a pour but que de créer du bruit médiatique dans la campagne électorale avant les primaires nationales de juin prochain. Sinon, Cristina aurait placé cette cérémonie le 17 août, une fête nettement plus liée à San Martín que le 25 mai, qui commémore un fait auquel il n'a pas participé (il vivait alors en Espagne et se battait dans les rangs des loyalistes contre les armées napoléoniennes qui tentaient d'annexer le pays).