Ce ne sont plus des rumeurs ou des soupçons. Ce ne sont plus quelques voix disséminées. Ce sont désormais des centaines de milliers de cris qui se déversent dans un flot qui ne tarit plus. La police britannique a révélé mercredi le résultat intermédiaire d’une enquête sur des agressions sexuelles commises sur des mineurs, datant parfois de 20 ou 30 ans, par des célébrités ou des figures influentes, dont des hommes politiques. Et ces révélations sont effrayantes.
« Nous parlons de centaines de milliers de victimes », a indiqué le commissaire Simon Bailey, qui dirige l’opération Hydrant, chargée de coordonner au niveau national les différentes enquêtes locales dans le pays.
À ce jour, 1433 suspects ont été officiellement identifiés. Sur ce nombre, au moins 261 sont des personnes publiques, dont 135 issues des milieux de la télévision, du cinéma ou de la radio, et au moins 76 de la politique. Westminster, la BBC, écoles, foyers, hôpitaux, prisons, centres sportifs ou socioculturels, casernes militaires : aucun groupe, aucune association, aucune institution de la société britannique ne semblent échapper à cette immense enquête, à ce gigantesque coup de balai, à cette douloureuse prise de conscience.
116 000 plaintes
Le déclic a été l’affaire Jimmy Savile. Cette ancienne star de la BBC s’est révélé être un prédateur sexuel pédophile d’une ampleur sans précédent. Pendant plus de 30 ans, ce présentateur excentrique a agressé des milliers d’enfants, utilisant sa notoriété et son statut de philanthrope pour satisfaire ses instincts, mais aussi pour empêcher toute enquête sur sa personne. Il est mort, dans son lit et jamais inquiété, en octobre 2011.
Ce n’est que deux mois après son décès que les premières révélations ont été rendues publiques. « Il n’y a aucun doute que Savile a eu un effet sur nous, a expliqué le commissaire Bailey. Nous assistons à une augmentation absolument sans précédent du nombre de cas d’agressions signalées. » Depuis 2012, la police a constaté une croissance de 71 % des agressions signalées. En 2014, le nombre de plaintes a atteint 116 000. Tous ces sévices ne datent pas du passé, seule la moitié remonte parfois à plusieurs décennies. Au moins 216 des suspects sont d’ailleurs décédés.
La parole s’est libérée et le vertige atteint les enquêteurs chargés de démêler les fils des multiples enquêtes. La tâche, monumentale, implique l’inscription sur une seule base de données des 1433 suspects pour permettre de les « croiser » avec les données recueillies par chaque force locale afin d’éviter les doubles enquêtes. Mais se pose aussi le problème de pouvoir prouver des faits anciens et juger les suspects.
Mi-avril, la décision du Crown Prosecution Service, le parquet britannique, de ne pas poursuivre lord Greville Janner, 86 ans, pour des agressions commises dans des orphelinats dans les années 70 et 80, a scandalisé. Membre travailliste de la Chambre des lords, la chambre haute du parlement, lord Janner est atteint de démence sénile et les juges ont estimé qu’il était donc impossible de procéder à un procès équitable.
Pour Tom Watson, député travailliste qui fût l’un des premiers à évoquer l’existence passée d’un réseau de pédophiles au coeur du Parlement, cet afflux de révélations n’est qu’un début. « Nous commençons seulement à comprendre comment notre pays, sur plusieurs générations, a réussi à refuser de voir le scandale des agressions sexuelles sur les enfants. Les survivants méritent justice, et les futures générations nécessitent une plus grande protection. »
Source : LeDevoir