Burundi: l'issue du coup d'Etat incertaine, des médias visés lors des affrontements

Publié le 14 mai 2015 par Actualitedistincte @Actu_Distincte
Au lendemain du coup d'Etat contre le président Pierre Nkurunziza, la confusion régnait toujours jeudi matin à Bujumbura après de violents combats entre militaires putschistes et loyalistes, avec plusieurs médias burundais visés dans la bataille.
Le porte-parole des putschistes, Vénon Ndabaneze, a assuré que son camp contrôlait "pratiquement toute la ville". Mais 24 heures après l'annonce de la destitution de Pierre Nkurunziza, toujours absent du pays, par le général Godefroid Niyombare, ex-compagnon d'armes du président, il était toujours impossible de dire qui détenait le pouvoir.
Des policiers déployés dans le centre de Bujumbura refusaient de dire à qui ils obéissaient, comme les militaires postés plus en périphérie, aux points stratégiques menant vers les quartiers au coeur, depuis près de trois semaines, des manifestations d'opposition à un troisième mandat du président, qui ont débouché sur l'annonce du coup d'Etat mercredi.
Le centre-ville était très peu animé jeudi matin, peu de voitures y circulant. "Nous avons eu peur après tous ces tirs dans la nuit", a confié un passant. "Mais comme il y a une accalmie, nous sommes passés voir ce qu'il se passe".
Selon des témoins, des combats à la mitrailleuse lourde et au lance-roquettes ont eu lieu jeudi à l'aube autour des locaux de la Radio et télévision nationale (RTNB), que les putschistes ont tenté, en vain, de prendre aux forces pro-Nkurunziza. Le chef d'état-major des forces armées, Prime Niyongabo, loyal au président, venait d'annoncer l'échec du coup d'Etat sur ses ondes. L'information avait été immédiatement démentie par les putschistes.
Dans la nuit, deux des trois principales radios privées du pays (la RPA et Radio Bonesha) et la principale télévision indépendante, Télé Renaissance, protégées par les putschistes, avaient été attaquées, selon leurs patrons, par des policiers fidèles au président et des jeunes du parti au pouvoir (Imbonerakure).
"Une camionnette remplie de policiers a attaqué la RPA. Ils ont affronté pendant longtemps des soldats qui protégeaient cette station. Finalement ils ont tiré à la roquette sur la RPA, qui a été incendiée", a affirmé Innocent Muhozi, président de l'Observatoire de la presse au Burundi et patron de Télé Renaissance, attaquée selon lui par des policiers et des Imbonerakure.
Jeudi matin, les locaux de la RPA étaient toujours en feu, et les murs criblés d'impact de balles, selon un journaliste de l'AFP.
Ni la RPA, station la plus écoutée du pays, ni Télé Renaissance n'ont depuis repris l'antenne. Radio Bonesha a interrompu ses programmes après une seconde attaque, jeudi matin, de policiers venus vandaliser ses locaux, selon son directeur, Patrick Ndiwumana.
La RPA et Radio Bonesha sont dans le collimateur du gouvernement depuis le début du mouvement anti-troisième mandat, accusées de relayer les appels à manifester. Dès le premier jour de la contestation, le 26 avril, elles avaient été empêchées d'émettre hors de la capitale, et la RPA complètement coupée le lendemain.
Jeudi, le porte-parole des putschistes a reconnu que le contrôle de la RTNB leur échappait, mais affirmé que son camp avait arrêté son offensive pour ne pas "verser le sang inutilement" et que des pourparlers étaient en cours pour rallier les loyalistes à leur cause.
Selon des sources militaires, les putschistes sont organisés autour du 11e Bataillon parachutiste, unité d'élite de l'armée, qui contrôle au moins l'aéroport international.
Le coeur du camp loyal à M. Nkurunziza s'appuie sur la Brigade spéciale de protection des institutions, avec le soutien de quelques autres unités. C'est cette brigade d'élite qui gardait jeudi encore la présidence, la RTNB et le siège national du parti présidentiel (Cndd-FDD).
- Nkurunziza en Tanzanie -
Selon une source à la présidence tanzanienne, Pierre Nkurunziza est toujours dans un lieu tenu secret à Dar es Salaam, en Tanzanie, où il s'était rendu mercredi pour un sommet de la Communauté est-africaine (Burundi, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Rwanda) consacré à la crise politique burundaise, déclenchée par sa candidature à la présidentielle du 26 juin.
La société civile et une partie de l'opposition mènent la contestation contre cette candidature qu'elles jugent inconstitutionnelle. L'idée d'un troisième mandat du sortant, déjà élu en 2005 et 2010, divisait déjà depuis des mois jusqu'au sein du Cndd-FDD.
Personnalité respectée, considéré comme un homme de dialogue, le général Niyombare est, comme Pierre Nkurunziza, issu de la rébellion hutu qu'était le Cndd-FDD pendant la sanglante guerre civile (1993-2006). Après le conflit, il était devenu chef d'état-major adjoint, puis chef d'état-major de l'armée. Nommé en décembre 2014 à la tête du Service national de renseignements (SNR), il avait été limogé trois mois plus tard, après avoir déconseillé au président de briguer un troisième mandat.
Mercredi, la tentative de coup d'Etat a fait réagir une communauté internationale déjà inquiète des tensions qui ne cessaient de croître au Burundi depuis des mois - outre la guerre civile hantant encore les esprits, l'histoire post-coloniale burundaise a été jalonnée de massacres interethniques.
En Tanzanie, les dirigeants kényan, ougandais, tanzanien et rwandais ont condamné le coup d'Etat et demandé un report des élections (des législatives et communales sont aussi prévues le 26 mai).
Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a exhorté "au calme et à la retenue". Le Conseil de sécurité devrait tenir jeudi des consultations d'urgence sur le Burundi.
Source : AFP