Le romancier américain
T.C. Boyle aime les sujets qui peuvent nourrir sans fin les débats au cours
desquelles on refait le monde. Mais il ne s’en contente pas, il y ajoute la
chair et le sang de personnages envisagés dans leur complexité. Dans leurs contradictions
s’il le faut.
Après le carnage oppose deux visions de l’écologie. La première, celle d’Alma Boyd Takesue,
se base sur des données scientifiques. La seconde, défendue par Dave LaJoy, se
nourrit de sentimentalité. Les principaux protagonistes du roman ont été
autrefois à deux doigts d’avoir une liaison mais l’entreprise de séduction
conduite par LaJoy a échoué quand il s’est montré intraitable, au restaurant,
sur la qualité du vin. La deuxième bouteille renvoyée, Alma s’est enfuie devant
une telle prétention. Cet épisode n’améliorera pas leurs relations par la
suite…
Alma dirige un programme
destiné à éradiquer les rats sur la petite île d’Anacapa, au large de la
Californie. Le romancier utilise, en la circonstance, des faits réels :
arrivés par bateau, les rats avaient dévasté la faune particulière d’Anacapa et
une opération de dératisation a été menée en 2000-2001. Mais, puisqu’il s’agit
d’un roman, l’intérêt se porte sur le défenseur des rats qu’est devenu LaJoy.
Effrayé par la manière dont meurent les bestioles se vidant de leur sang après
avoir été empoisonnées, il mène campagne contre les autorités. Son action se
transforme en guérilla quand, le premier programme mené à bien, Alma en conduit
un second, plus ambitieux, destiné à éliminer les sangliers qui ravagent l’île
voisine de Santa Cruz. Celle-ci, supérieure en superficie, est investie par des
chasseurs australiens. Leur mission consiste, tout simplement, à abattre les
cochons sauvages parqués derrière des clôtures de fil barbelé que LaJoy et quelques
militants pro-sangliers tenteront de couper au cours d’une expédition qui
tournera mal.
L’écologie est un combat,
et celui-ci est particulièrement rude quand il oppose deux factions cherchant,
au fond, la même chose : rendre la nature à la nature et y annuler
l’action de l’homme. Mais à quel stade du passé faut-il restaurer les
îles ? Celui d’avant l’arrivée, provoquée par l’homme et souvent
accidentelle, d’espèces envahissantes et nuisibles à l’environnement ? Ou
à leur état dans les années où se passe le roman, au début de notre
siècle ? Alma et LaJoy posent sur des principes irréconciliables défendus
de plus en plus radicalement par chacun d’entre eux, sans aucune concession à
l’adversaire.
Le décor, ces îles dont la
faune et la flore font de belles aires protégées, est somptueux. Mais
dangereux. La mer devient rapidement mauvaise dans le chenal qui sépare les
îles du continent, la météo est changeante. Alma a perdu, dans ces eaux, son
grand-père et son père. La petite amie de LaJoy a vécu quelques années à Santa
Cruz où sa mère était devenue cuisinière dans un élevage de moutons. Les
rapports personnels entre les personnages et les lieux pour lesquels ils se
disputent sont intimes et puissants. Ils déterminent au moins en partie la
volonté qui les anime.
T.C. Boyle ajoute à tout
cela, qui n’est déjà pas mal et suffirait à beaucoup, diverses difficultés dans
les trajectoires individuelles. Celle d’Alma, en particulier, à qui on
s’attache davantage qu’aux autres – selon la volonté de l’auteur, probablement,
qui a dû en faire son double romanesque, bien qu’il ne le dise pas
explicitement.
Pour toutes ces raisons,
ce livre volumineux et dense est de ceux qu’on ne lâchera pas avant la dernière
page.