Deux promeneurs au Jardin des Plantes : un vieux misanthrope, le docteur Torty, et le narrateur. Admiratifs d'une panthère noire, ils croisent aux environs de la cage un beau couple, le comte et la comtesse de Savigny, propriétaires d'un château dans le Cotentin. Torty était le médecin du comte ; il a bien connu sa première épouse, morte dans des circonstances troublantes il y a plus de vingt-cinq ans ; il en sait des secrets de famille : « Le médecin est le confesseur des temps modernes ».
Autrefois à V. (Barbey d'Aurevilly ne nomme pas la petit ville de Valognes chère à son cœur) un ancien soldat de l'Empire, un hussard au sobriquet de "Pointe-au-Corps", passant par là, avait ouvert une salle d'armes. Ça tombait bien, Valognes n'était-elle pas désignée au voyageur sous le nom de "la bretteuse"? À son décès sa fille, Haute-Claire Stassin, prit le relais. Cette fine lame, qui cachait sa beauté derrière un masque d'escrime, enseignait aux fils de famille le maniement du sabre et de l'épée. Parfois, ils l'apercevaient le dimanche à l'église, le visage dissimulé sous un voile, toujours l'art de l'esquive.
L'un de ces jeunes gens distingués était le comte Serlon de Savigny. Son mariage avec Delphine de Cantor, une jolie rousse, à l'éducation religieuse, avait fait grand bruit. Le docteur Torty s'en souvient encore.
Un beau jour, Mademoiselle de Haute-Claire disparut. Avait-elle été enlevée ou trouvé chaussure à son pied? les spéculations allaient bon train. Toujours est-il que la salle d'armes ferma. Comme les toros le dimanche dans la chanson de Jacques Brel, maintenant, les jeunes gens du village s'ennuyaient ferme le soir.
Pendant ce temps Delphine de Savigny tomba malade. Le docteur Torty lui rendait régulièrement visite pour s'enquérir de l'évolution de sa patiente. Lors de l'une de ses venues au château, il faillit tomber à la renverse en reconnaissant sous les traits d'une femme de chambre Mademoiselle de Haute-Claire, plus d'un an après qu'elle eut disparu, la fausse servante, attachée au service de la comtesse, se fait désormais appeler Eulalie...
Le docteur subodorant un "crime domestique" et renforcé dans la sympathie qu'il éprouve naturellement pour sa pauvre malade se livre alors à l'espionnage du couple adultérin car Eulalie est bien devenue la maîtresse du comte. Il va être le témoin oculaire de leurs coupables amours.
Je ne veux pas déflorer la fin de cette nouvelle comprise dans le recueil Les Diaboliques (publié en 1874), ce serait mal servir et l'auteur et la littérature. Je me demanderai simplement : si ce n'est pas un crime d'être amoureux, peut-on trouver le bonheur dans le crime? Je ne suis pas sûr que Barbey d'Aurevilly ait tranché ici la question. La peine capitale au XIXe siècle, si.
©M. Fr.