Impôt sur le revenu : complexifions à la source

Publié le 21 mai 2015 par H16

Il y a quelques jours, Michel s’est réveillé, l’œil vif et le jarret pétillant, ragaillardi par une nuit complète. C’est donc avec une patate de poney sous coke qu’il a dévoré de bon appétit ses petites biscottes matutinales accompagnant le café servi pendant le conseil des Ministres. Quand, soudain, la bouche encore pleine de pain braisé enduit de beurre, il s’est écrié en projetant plein de miettes en direction de ses collègues : « Chaprichti, mais ch’est bien chûr, chi on faisait un prélèvement à la chource ? »

Cette description ne doit pas être très éloignée des événements réels qui ont précédé l’intervention de Stéphane Le Foll ce mercredi. Stéphane, c’est un brave gars, et il n’a pas une tâche facile : outre la promotion publicitaire (discrète mais évidente) d’architectures capillaires spectaculaires pour les quinquas ravageurs, il doit aussi remplir le rôle de porte-parlote d’un gouvernement qui bégaie, injurie, apostrophe et vitupère à tort et à travers.

Et cette fois-ci, la nouvelle idée phare du gouvernement pour faire oublier ses vols planés malheureux dans la réforme des collèges la porcelaine de Mamie, c’est de remettre sur le tapis une idée qui a déjà été mainte fois débattue à grand coup de batte de baseball : l’idée du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Et c’est bien joué. Rien qu’à voir les petites bulles journalistiques qui se forment immédiatement autour du sujet, on sait que c’est gagné : les prochains jours seront pleins de palpitants débats sur la façon dont on va devoir mettre en place cette nouvelle fulgurance de l’exécutif.

Pour faire passer la pilule, ce sont le prétexte et le camouflage habituels de la tagada Simplification Administrative tsoin tsoin qui ont été choisis. D’après Le Foll qui n’a jamais aussi bien porté son nom :

« L’idée est d’aller vers une simplification du recouvrement de l’impôt avec la mise en œuvre progressive dans le cadre de la simplification des feuilles de paie et du numérique de la retenue à la source, sans fusion (avec la CSG). »

Oh, oui, toi, là, le petit contribuable chétif au poil dru, tu la sens bien ma grosse simplification ? Et tu la sens bien la migraine carabinée qui va pointer lorsque les millions de petits tuyaux chromés de cette nouvelle usine à gaz administrative vont s’abattre sur toi comme le châtiment divin au moment du jugement dernier ? Non, tu ne les sens pas ? Pourtant, il y a tout ce qu’il faut pour un magnifique gloubiboulga fiscal qui va bien se passer, c’est certain.

Reprenons calmement la fine idée gouvernementable (non, ce n’est pas une typo) : on va donc aller vers une simplification du recouvrement de l’impôt (chouette) en faisant une retenue à la source, sur les feuilles de paie, qui ont déjà été sauvagement simplifiées récemment. On imagine déjà tous les trésors d’inventivité qu’il va falloir déployer pour, d’une part, amener les douzaines de logiciels de paie que les entreprises du pays utilisent à faire les bons calculs, et d’autre part, s’assurer que les prélèvements correspondants tomberont dans les bonnes escarcelles. Qui vérifiera les petits paramètres des uns et des autres, dont dépendent les douzaines d’abattements, de réductions, les ventilations diverses qu’une feuille d’impôt lambda comprend par défaut ? Rien qu’à ce point de la description, il y a largement de quoi choper les mains moites. Forcément, ça va bien se passer.

Là où ça devient croquignolet, c’est lorsqu’il faut factoriser la CSG, jusqu’alors déjà prélevée à la source. Ce prélèvement sera donc fait de façon séparée, d’une autre façon (mais à la source toujours ?), suivant un autre calcul qu’on laisse au lecteur le soin d’imaginer. Les mains ne sont plus moites, elles sont maintenant trempées. Forcément, ça va super bien se passer.

Mais le grandiose est définitivement atteint lorsque notre brave porte-moumoute gouvernemental explique que la mise en œuvre sera progressive. Progressive comment, on n’en sait rien, mais laissons nous aller à quelques supputations.

Peut-être la retenue à la source ne concernera d’abord qu’une certaine catégorie de personnes, avant d’en enrôler d’autres, petit à petit, progressivement ? Du côté de Bercy, à cette idée, les mains ne sont plus trempées, elles deviennent de véritables fontaines : en terme de simplification, ce sera probablement un sale petit moment à passer pour les équipes en place, mais tant pis, voilà ce que c’est de travailler pour le Léviathan. Peut-être cette retenue à la source ne sera progressive que dans son montant ? Auquel cas, chaque Français aura l’immense privilège de devoir comprendre quelle partie de son revenu a déjà été prélevée à la source, et quelle partie est encore soumise à l’impôt standard. L’idée de progression instille d’ailleurs un changement, d’année en année (oh, oui, ce processus définitivement Double Plus Bon promet des « instants chocolat »). Forcément, ça va hyper bien se passer.

D’autant qu’on n’a pas encore évoqué le fait qu’à n’importe quel moment, certains contribuables sont mensualisés (charge aux services fiscaux, qu’on sait irréprochables, de ne pas prélever une fois de trop ceux qui seront déjà ponctionnés à la source), et que d’autres, ne l’étant pas, ont payé pour les revenus de l’année passée. Le passage au prélèvement à la source signifie mécaniquement ou bien une perte notable de revenus pour l’État qui doit alors faire des rappels (le timing est alors diabolique, surtout en période électorale), ou bien une double imposition (joie, bonheur et moules frites à volonté).

N’oubliez pas le panachage possible de toutes ces options, bien évidemment. En plus, avec la fine équipe gouvernementale et son track record qui laisse rêveur, on ne peut qu’applaudir d’avance devant le grand, l’extraordinaire, le magnifique moment de bonheur qui s’annonce indubitablement pour tous les Français dans les mois à venir.

Oui, tout porte à croire que la simplification administrative, ça va fouetter sévère, mais il ne faut pas perdre de vue l’essentiel : si, en France, nous avons un système de collecte d’impôt délirant de complexité, si nous sommes parmi les pays les plus taxés (si ce n’est pas le plus taxé) du monde, c’est parce qu’on peut s’enorgueillir d’y avoir des services publics que le monde … Heu.

Et puis c’est aussi, il faut bien le dire, parce que toutes ces complications simplifications camouflent l’iniquité de la ponction : elles permettent à ceux qui connaissent et pratiquent le système d’échapper aux taxations les plus dures, et laissent ceux qui ne comprennent rien sur le bord de la route, les poches vides et les yeux pleins de larmes, hébétés. C’est aussi ça, la magie du socialisme.

Un autre aspect qu’on peut retirer de ces nouvelles incursions dans le domaine du Cerfa blagueur, c’est l’aspect auto-catalytique de la réaction fiscale explosive qu’entretiennent nos politiciens dans un manque absolu de clairvoyance : plus la situation se dégrade, plus ces derniers estiment de leur devoir de s’agiter, quitte à faire n’importe quoi qui se traduit systématiquement par une augmentation des coûts pour tout le monde. Ceci, en l’espèce, fait fuir les investisseurs, décourage les salariés les plus qualifiés qui finissent eux aussi par partir, et enfin les retraités qui trouvent rapidement, en plus du soleil d’autres pays, une occasion de limiter leurs pertes financières par la ponction. À son tour, ces fuites et ces départs, se traduisent à la fois par une moindre rentrée fiscale, et un affaissement des conditions économiques, déjà pas très brillantes. Devant le constat, les politiciens, remontés comme des coucous, en remettent une couche. À partir d’ici, vous pouvez boucler quelques lignes plus haut. Répétez le processus pendant plusieurs années, et (enfin, alleluyah, youpi) le désastre complet est à votre portée.

Non, décidément, j’attends avec gourmandise cette simplification fiscale par la mise en œuvre progressive de la retenue à la source, nouveau dada rutilant d’un gouvernement complètement perdu dans ses petites manœuvres politocardes.

Forcément, ça va ultra bien se passer.

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