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Tricot-graffiti et le militantisme féminin

Publié le 20 mai 2015 par Raymond Viger

tricot graffiti activismeL’activiste a pour alias Tricot pour la paix et souhaite rester anonyme. Vous découvrirez au travers de cette femme une autre forme de graffiti: le tricot-graffiti.

Un art engagé qui n’a rien à envier à son pendant traditionnel.

Être activiste

Malgré son nom de code, Tricot pour la paix n’a pas toujours été une tricoteuse. La passion lui est venue sur le tard, en 2011 pour être précise. À ce moment-là, la jeune femme est à un tournant de sa vie; elle veut s’impliquer davantage dans notre société et faire une différence. À cette époque, elle tricote depuis un peu moins d’un an, pour le plaisir, pour évacuer le stress du travail.

Fin 2011, Montréal (et d’autres villes) est en émoi: le mouvement Occupy ou Occupons Montréal au Québec, fait un siège pour protester contre le capitalisme. «J’étais fascinée par le mouvement. J’y ai fait circuler des informations et du matériel», explique-t-elle. Mais elle voulait surtout lancer des ateliers de tricot pour les militants: «Les gars d’Occupons adoraient l’idée! Ils étaient stressés et l’hiver arrivait; le tricot leur aurait fait du bien, ça aurait permis de diminuer la pression.»

La nouvelle militante avait tout organisé. Elle avait le matériel, l’opportunité et l’envie. L’Histoire suivant son cours, elle ne donnera jamais ces ateliers car le mouvement de Montréal est démantelé, mais une chose émerge: la naissance de Tricot pour la paix.

Tricot pour la paix se fait un nom et ne tarde pas à rejoindre le collectif Villes-Laines, 5 femmes passionnées par les fibres qui participent autant à des événements, autant qu’elles taguent les rues.

Tricoter la politique

«Le tricot interrelie les gens entre eux. Il rend l’activisme doux», lance Tricot pour la paix. Elle, elle enlace des poteaux de laines multicolores et rajoute de la chaleur dans les endroits les plus miteux. Derrière ça, elle veut «changer de paradigme et passer d’un monde peur à un monde d’amour.»

Au moment où nous nous rencontrons, les médias ne parlent que des agressions de femmes dans les taxis montréalais. «Je veux encourager les femmes à prendre possession de la rue. Le street art est très masculin; le tricot c’est une touche de féminité dans nos rues. Je veux rassurer les femmes et les pousser à s’approprier l’espace urbain.»

Pandora, une autre tricot-graffiteuse, a également cette envie d’exposer de la chaleur et de la féminité dans les rues. «La ville, c’est de la vidange pour les yeux», explique la jeune mère. Le tricot-graffiti n’endommage pas le milieu où il se trouve et il se dégrade progressivement et naturellement. «Tout est bio», ponctue Pandora.

Excitationquébec activisme tricot

Et contrairement au graffiti traditionnel, le tricot a une grande différence: c’est un art éphémère. «Et j’adore ça, s’exclame Tricot pour la paix. Ce que je fais, je le donne à la communauté, après il ne m’appartient plus.» Pandora, autre artiste, acquiesce.

Toutes deux voient parfois disparaître leurs œuvres et là, c’est le comble de l’excitation pour ces dames! Quelqu’un l’a pris… c’est le début d’un questionnement pour tenter de comprendre qui et pourquoi.

À Québec se trouve le collectif Colifichet. Ces 4 amies ne se revendiquent pas comme des tricots-graffiteuses; elles sont simplement des tricoteuses.

En avril 2011, des artistes étaient invités à prendre possession d’un arbre. Elles ont choisi d’y tricoter un téléphone qui a été exposé pendant 10 jours. Mais à la fin, surprise! Il a disparu pendant la nuit… «J’ai adoré! Si quelqu’un l’a pris, c’est qu’il apprécie. J’adorais savoir qui c’est», plaisante Dominique, membre du collectif Colifichet.

Militantisme féminin

Le tricot-graffiti c’est l’habillage de monuments ou d’objets de nos rues par des textiles. Mouvement majoritairement féminin, il a atteint son apogée au Québec dans les années 2012-2013.

Ses connotations sont bien souvent féministes, puisqu’il impose dans la rue un art dit domestique pour femmes. Ces artistes peuvent choisir de poser des touches de couleurs qui peuvent passer inaperçues ou bien habiller des symboles; comme Louis Cyr par le magazine féministe Yiara.

Pour ce symbole de la puissance, les 4 universités montréalaises se sont réunies pour l’habiller. «Il représente un symbole masculin très puissant. Il y a un certain plaisir à recouvrir un homme, longtemps reconnu comme le plus fort du monde, de lainage doux et coloré. Cette action n’est pas une critique de Cyr lui-même, mais sur les conceptions stéréotypées du genre», explique Stéphanie Hornstein, rédactrice en chef du magazine.

Passage éclair

Avec Tricot pour la paix, je me joins à un accrochage Cet après-midi là, dans une rue dont les murs sont couverts de graffitis (petits clins d’œil aux artistes de la canette), elle se met en avant, sur un poteau.

«Penses-tu qu’il va rester en place?», lui demandais-je. «J’ai un doute, rit-elle. Je suis pas sûre qu’ils apprécient que je m’impose au milieu d’eux.»

Le contraste est hallucinant. Dans cette rue sombre où le vent froid s’y engouffre, les murs remplis de graffitis, son tricot trône là, interpellant pour le plus grand ravissement.

Cette après-midi-là, le temps est agréable, elle m’emmène sur son précédent champ d’action. En dessous d’une vieille enseigne d’une usine de textile, elle a voulu faire son clin d’œil en y ajoutant ses nouvelles fibres.

Engouement populairetricot pour la paix, activisme

Lorsqu’elle œuvre en solo,Tricot pour la paix agit à l’instinct. Rares sont les fois où elle prépare très à l’avance ses coups. Et si avec le collectif les Villes-Laines il est arrivé que les membres soient rémunérées, lors d’événements où elle est seule, notre tricoteuse agit toujours bénévolement. Et l’accueil des gens  est chaleureux.

Tricot pour la paix est toujours surprise de la variété de personnes faisant du tricot: «Lors de festivals, des motards sont déjà venus nous voir pour nous féliciter et nous dire qu’eux aussi faisaient du tricot.» Dé-mo-cra-tique on vous dit.

Pour elle qui a souffert d’anxiété, le tricot est presque une thérapie: «Ça relaxe énormément et ça t’oblige à accepter tes erreurs.» Ce pour quoi elle donne maintenant des cours à but thérapeutique.

L’initiation au maniement des aiguilles est l’autre plaisir de Tricot pour la paix. Elle a enseigné à des personnes âgées comme aux plus jeunes, et a lancé des événements et des ateliers.

Depuis 2012, elle a donné des cours pour les mères monoparentales, aidé à préparer des Tricothons pour la cause des sans-abris (en partenariat notamment avec l’organisme humanitaire Médecins aux pieds nus) et organisé des rencontres mensuelles de tricot pour tisser des liens et discuter de problématiques de son quartier.

Police attendrie

Que ce soit Tricot pour la paix, Pandora ou le collectif Colifichet, toutes disent avoir un bon accueil par la population et les forces de l’ordre.

Peut-être parce qu’il s’agit d’un art qui n’altère pas durablement son environnement (un coup de ciseau et les œuvres disparaissent), le regard qu’on leur porte est lui aussi différent.

Un art méconnu

Après plusieurs demandes à des graffeurs, le tricot-graffiti semble encore méconnu des artistes de la canette.

Raymond Viger, directeur artistique du Café Graffiti, précise qu’en 22 ans de carrière dans le milieu hip-hop, il n’en a entendu parler qu’une seule fois: lors d’un tour organisé par l’Autre Montréal pour présenter l’art urbain montréalais.

Pour en savoir plus sur cet art activiste et découvrir Tricot pour la paix, rendez-vous sur: tricotpourlapaix.com

Bienfaits du tricot

Les bienfaits du tricot ne sont pas nouveaux, et médecins et psychologues ne tarissent pas d’éloges sur cette activité. L’Association canadienne pour la santé mentale en a d’ailleurs fait un article.

Le tricot, avec ses gestes lents et mesurés, favorise la relaxation et diminue le stress,  tout en permettant de se concentrer sur une tâche précise. Selon l’Association, il aide à maintenir une bonne santé mentale. D’ailleurs, l’ancien gardien de but des Canadiens de Montréal, Jacques Plante, a raconté qu’il tricotait avant ses matchs.

En 2014, la Société Alzheimer a fait une campagne sur le thème du tricot-graffiti. Le tricot, en plus de symboliser le diagnostic (le fil) qui relie à la vie, a aussi servi de source de financement pour l’organisme. Tous étaient appelés à tricoter un myosotis qui était vendu au profit de la Société Alzheimer du Canada.

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