Passé le choc d’une prise de contact grincheuse avec un éditeur, ou d'une prise de contact avec un éditeur grincheux, une petite lumière allait m’éclairer un peu. Madame T., donc, conseil éditorial, m’avait suggérée de "me lâcher " et de lui adresser ensuite le produit de mes élucubrations.
J’avais devant moi, un mois et demi. Avant sa pause estivale.
Après la parlote, on rentrait dans l’action : écrire ce qui ressemblerait de près ou de loin à l’ébauche d’un bouquin. Alors là, brother, c’était une autre paire de manches !
Constatons qu’il existe "le Mac, les impôts ou l’anglais pour les nuls" mais rien pour l’auteur en herbe. Aucun ouvrage intitulé : "conseils pour démarrer votre livre". Ce n’est pas les 3 ou 4 feuillets que j’avais pondus qui allaient me mettre sur le chemin. Ni même les billets de blog que j’écrivais régulièrement. Cette seule question "suis-je cap ?" me hantait.
Objectif essentiel : faire émerger la matière. Je me suis secouée les méninges. J’ai exploré tous les thèmes que le mot argent m’inspirait. La réussite, les motivations et les freins, l’éducation, les comportements, le pouvoir d’achat. L’argent dans l’histoire, les religions etc. Ensuite je me suis efforcée de relier toutes ces idées avec un fil directeur. J’ai ficelé du mieux possible une introduction et une conclusion. Naïvement j’imaginais que madame T. me prodiguerait quelques conseils, ce qu’elle m’avait laissée entendre.
Satisfaite d’avoir terminé dans les temps, je lui envoyé le texte. Malheureusement il n’y a jamais eu de retour à l’envoyeur. Silence total. Aucune réaction. Avec tout le mal dont elle avait encensé l’édition, j’imaginais qu’elle me gratifierait d’un peu plus de professionnalisme. NON. RIEN. NADA. A-t-elle seulement lu ?
Bizarrement j’ai respiré parce que le conseil éditorial est loin d’être une prestation gratuite. Cette délicieuse Madame T. m’avait expliquée qu’elle se rémunérait, pour des auteurs déjà lancés, sous forme d’un pourcentage pris sur leurs droits. Mais pour un premier livre, les tirages étant faibles, elle facturait une commission de 1500 euros. Une paille. Au fond, son silence me retirait une épine du pied.
D’autant que parallèlement, je faisais la connaissance d’un blogueur qui régulièrement se livrait à une chronique de mes articles dans son blog. Entre deux gorgées de coca, nous avons reconstruit le monde et j’en suis venue à parler de mes projets autour de l’argent. A ma grande surprise, il m’a racontée qu’il s’occupait bénévolement d’une petite maison d’édition. « Passez- moi votre document. Et : "revoyons-nous".
Quelques temps plus tard, son commentaire a été le suivant. " Ce que vous avez réalisé fournit une bonne base pour des conférences ou des articles mais pas pour un bouquin. Néanmoins, vous exprimez des idées intéressantes sur un sujet sensible. Vous avez un joli style. Le titre – Aimez-vous l’argent ? – est très bon. Vous serez légitime si vous vous positionnez dans le domaine de vos convictions personnelles. Travaillez-moi un plan d’ici un mois et nous déciderons de la suite à donner"
J’allais donc entamer un autre chapitre d’écriture qui allait m’occuper 8 mois, avant d’aborder la phase finale d’un an. Depuis mes premières conversations sur cet hypothétique ouvrage, sept mois s’étaient ainsi écoulés. Force était de remarquer que le scénario se révélait surprenant. A l’issue de cette première période fertile en rebondissements : un éditeur, un conseil éditorial, un plan à soumettre, le polar continuant de s’épaissir, j’étais en mesure de dresser une petite conclusion à ce début d’expérience.
Je m’étais confrontée à un apprentissage réel. J’avais écrit, tourmentée par cette interrogation constante : en ai-je le POUVOIR donc la CAPACITE, le TALENT et les MOYENS, suis-je dotée d’une CREATIVITE suffisante pour aller au bout de ce projet ?
Je possédais quelques RESSOURCES : munie d’une plume correcte, je savais construire une phrase, connaissais les règles de ponctuation, j’avais du vocabulaire et la grammaire ne me rebutait pas. Je n’avais aucun mal à rédiger une page de 2500 signes. Mais là, il était question de 100 000 signes au moins. Quant à mes vraies MOTIVATIONS, à ce moment là, je les ignorais totalement. Il me faudra 18 mois encore pour les comprendre.
Je me suis colletée au FREIN le plus commun à tous les auteurs. Dans n’importe quel projet de création, on est face à soi. Récemment, je bavardais avec le prof de dessin de ma fille et on examinait les personnages qu’elle croque. Il observait : " elle se dessine. Ses sujets lui ressemblent. Quand, moi, je dois illustrer la colère, il me faut la ressentir sinon je n’y arrive pas".
Donc on "s’écrit", tel que l’on est, avec ce que l’on ressent : émotions, humeurs, détestations, élans, brins de folie. Et si on " s’écrit ", il arrive aussi que l'on en soit inapte. Parfois, on se sent porté et les mots glissent sans peine. Parfois curieusement, on leur fait confiance et on les laisse nous précéder. Certains jours, ils nous font peur. D'autres jours, ils ne nous satisfont pas car on n'est pas satisfait de nous. D’autres fois, on bute, parce qu’on bute avec soi, et ça dure, un jour, deux jours voire plus. On oscille entre aimer et haïr ce travail. Dans ce dernier cas, on n’en dort plus, obnubilé par les obstacles. Le lendemain, on se rassied devant l’écran d’ordinateur, encore plus angoissé par le démon de la page blanche. Et la légitimité nous contemple, amusée de ces difficultés dont pourtant elle nous avait entretenues.
J'ai appris à m'imposer un rythme pour bosser. En repérant les moments dans la journée où je disposais de la meilleure énergie créative. Et bien que je déteste me lever tôt, le matin est le moment privilégié où je me donne à fond. Je me suis astreinte progressivement à écrire tous les jours pour ne pas laisser s’installer des temps morts pendant lesquels je risquais de trop gamberger et entretenir mes doutes. Avec bouteille d’eau, thé, café, à proximité, sans oublier de couper mon téléphone, etc. J’ai ainsi renoué avec mon passé estudiantin !
Grâce à cette femme, conseil éditorial, qui m'a laissée tomber comme une vieille chaussette au fond du panier, je me suis mise en jambe. Ce n'était pas vain. Car la rédaction d'un plan m'attendait.
" Entre une idée, un dessein, un plan, la route est longue jusqu’à sa finalisation. Les ombres sont là qui surgissent et masquent la lumière. Et amoindrissent notre volonté (…) On pense à toutes les difficultés qui jalonnent le parcours (…) celui dont on ne se préoccupe que rarement car on préfèrerait ignorer son existence : nous-mêmes dans le rôle de notre propre ennemi. "
Hélène de montaigu
"Aimez-vous l’argent ? "