Ces dernières années, plusieurs équipes de recherche ont tenté de » détourner » des microbes, dont la levure de boulanger, Saccharomyces cerevisiae- pour multiplier par 10 la quantité de resvératrol dans le vin par exemple- et la bactérie Escherichia coli et » ses corps d’inclusion » pour libérer des protéines thérapeutiques. L’artémisinine, un antipaludique dérivé de l’armoise (Artemisia annua), est produit dans la levure. Le pavot à opium (Papaver somniferum) dont un extrait est utilisé pour fabriquer la morphine (et l’héroïne) et des opioïdes analgésiques comme l’oxycodone et l’hydrocodone, est une cible évidente pour la bio-ingénierie. Pouvoir produire ces médicaments à partir de la levure pourrait évidemment faciliter production de ces opioïdes.
Fabriquer des opiacés de synthèse est un processus long et complexe. Il s’agit d’identifier les enzymes qui catalysent les réactions de synthèse ce qui est extrêmement difficile, expliquent les auteurs. Ces bioingénieurs de l’Université de Californie, Berkeley sont donc allés chercher des enzymes dans d’autres plantes, et même chez les humains et les insectes, qui pourrait effectuer les réactions désirées lorsqu’inséré dans le génome d’un microbe. Puis les chercheurs ont transformé génétiquement, étape par étape, les enzymes pour renforcer leur efficacité à produire les composés souhaités : En introduisant dans la levure, un gène de betterave, ils sont parvenus à transformer la tyrosine, un acide aminé dérivé du sucre, en réticuline.
· Or, c’est la première étape de la voie de production de la morphine à partir du pavot et pour la première fois, cette étape se trouve concentrée au sein d’un seul organisme, la levure. Une levure capable donc de convertir le glucose en réticuline, un composé intermédiaire à partir duquel on est capable de produire la morphine.
· Car une précédente recherche de thèse, présentée dans PLoS ONE avait déjà » réglé » la seconde étape (3). Le processus est donc désormais » complet » et il est théoriquement possible de fabriquer des opiacés dans la levure. » Des efforts seront encore nécessaires pour rendre les processus de fermentation efficace « , explique néanmoins l’auteur de l’étude actuelle. » Mais, en théorie, toute personne en possession de la souche de levure serait en mesure de faire de la morphine avec un processus pas plus compliqué que le brassage de la bière « .
Le risque de favoriser la toxicomanie ? Les auteurs disent avoir pris toutes les précautions, en partageant leurs recherches avec d’autres scientifiques avant publication, certains appelant à l’examen rigoureux des risques et des avantages de ces organismes d’ingénierie pour fabriquer des composés qui sont à la fois utiles et dangereux. Il s’agit de légiférer, réguler, interdire, bref prendre des mesures de protection qui minimisent les risques, sans arrêter les recherches. Car pour les scientifiques, il y a là la perspective de créer de toutes nouvelles molécules, en s’inspirant et en reprenant des » morceaux » des voies utilisées par les plantes pour produire leurs composés végétaux.
A plus court terme, cette étude pourrait conduire à des analgésiques moins coûteux mais plus efficaces et entraînant moins de dépendance.
Avec, toujours, ce risque d’augmenter l’accès de tous à ces substances. Il s’agit donc de trouver les moyens de prévenir le mésusage de la technologie pour pouvoir poursuivre les recherches.
Sources:
1. Nature Chemical Biology 18 May 2015 doi:10.1038/nchembio.1816 An enzyme-coupled biosensor enables (S)-reticuline production in yeast from glucose
2. Nature 18 May 2015 doi:10.1038/251267a Engineered yeast paves way for home-brew heroin
3. PLoS ONE et University of Calgary Characterization of Oxidative Enzymes Involved in the Biosynthesis of Benzylisoquinoline Alkaloids in Opium Poppy (Papaver somniferum)