Un film de Jean-Pierre et Luc Dardenne (2014 - Belgique, France, Italie) avec Marion Cotillard, Fabrizio Rongione
Pathos.
L'histoire : Sandra, milieu modeste, ouvrière, sort de dépression et doit reprendre le travail. Mais elle apprend le vendredi par une collègue que son entreprise, face à des problèmes de budget, doit supprimer un poste, le sien. La direction a posé un choix aux salariés : soit ils licencient quelqu'un, soit ils gardent tout le monde mais en leur supprimant leur prime annuelle de 1000 euros. Tout le monde a voté pour garder la prime. C'est donc Sandra, absente, depuis longtemps, qui est désignée pour le départ... Avec sa collègue, elles demandent au directeur de refaire un vote le lundi matin : le premier était à main levée, donc faussé. Il faut un vote anonyme. OK. Il reste à Sandra le week-end pour aller voir ses collègues un à un et tâcher de les convaincre de renoncer collectivement à la prime pour qu'elle puisse garder son emploi... Une course contre la montre, lourde pour l'égo, surtout pour une jeune femme encore très fragile. Mais elle peut compter sur l'indéfectible soutien de son mari.
Mon avis : J'aime bien le cinéma social, j'adore, même ; mais à part Ken Loach, ce n'est pas facile de trouver du bon. Seuls les Anglo-Saxons osent mettre de l'humour dans leurs films, et c'est la clé de tout ! Cela évite la dramatisation, apporte un peu de légèreté, laquelle nous permet de réfléchir aux questions posées, au lieu de sombrer dans la dépression comme dans les productions françaises et belges...
Déjà, vous le savez, je n'aime pas trop le "quotidien". Or ici, l'histoire se passe sur deux jours, on suit donc le personnage qui va de porte en porte poser tout le temps la même question. C'est un peu lassant. D'autant qu'on sait que la réponse sera toujours la même "Oui, je comprends bien, mais..." ; le seul suspense qui reste c'est la décision finale de chacun et s'il la maintiendra jusqu'au bout (j'ai vu ça tant de fois au boulot, des gens qui disent vous suivre sur telle ou telle action, vous prenez la parole pour le groupe devant le chef, et quand vous vous retournez pour les inviter à appuyer votre discours... ils ont tous disparu !).
J'ai par ailleurs trouvé la situation un peu invraisemblable, par rapport justement à la réalité de l'entreprise d'aujourd'hui. On a vu, bien évidemment, des entreprises, renégocier les salaires ou primes à la baisse, en échange du maintien de certains postes, mais à grosse échelle. Une seule personne concernée, ça fait bizarre ; ses collègues en plus on fait son boulot à sa place pendant son absence, il est presque logique que l'entreprise supprime le poste, point barre. Ou alors qu'elle se prive d'un CDD ; c'est LA logique actuelle (qu'on retrouve à la fin du reste...).
Mais peut-être que ça ne fonctionne pas pareil en Belgique. D'abord la situation de Sandra ; elle vient d'être absente longtemps pour dépression, il est évident qu'à son retour elle ne fera plus partie des chéries du chef (les malades, les dépressifs, tous des tire-au-flanc) et des collègues (qui ont dû faire son travail en plus du leur). Je les trouve quand même hyper gentils, ces collègues, qui les uns après les autres, acceptent de s'asseoir sur leur prime afin qu'elle ne perde pas son job. D'autant que, bon, elle est jeune, elle a une maison, une voiture, un mari qui a un boulot, des gosses qui ont ordi et consoles, elle mange des glaces Cornetto et va au restaurant en famille... elle ne couche pas sous les ponts, quoi. Elle a donc un peu de temps devant elle, avec les indemnités chômage, pour retrouver un job. Je ne comprends donc pas cette extravagante angoisse, cette peur panique de perdre son boulot, comme si c'était une question de vie ou de mort (et je pèse mes mots...). Le personnage est par trop dépressif. Son arrêt de travail est fini, mais vu comment elle réagit, larve tout le temps sur son lit, a une tête de zombie et boulotte ses cachetons en cachette, je crois qu'elle n'est pas vraiment bien guérie ! Moi j'avais envie de la secouer "Hé, t'as qu'à te barrer ! Qu'ils la gardent, leur prime ! Tu vas bien trouver autre chose ! Tu peux faire une formation, t'es jeune !"
Mais le système belge n'est sans doute pas le même que le nôtre. Il est vrai que chez nous, si vous êtes en arrêt-maladie, vous ne touchez qu'un demi-salaire quasiment ; on pourrait comprendre que, avant même de reprendre le travail, Sandra soit ultra stressée parce que le porte-monnaie familial est déjà vide. Mais ça, on n'en parle pas du tout. Or, l'histoire aurait alors pu prendre une autre dimension, plus vraisemblable. Pour nous Français, en tous cas. On ne sait pas non plus pourquoi elle a fait une dépression. Il peut y avoir de multiples raisons et ça aurait pu donner une meilleure assise au scénario de savoir. Il y a ainsi plein de petits détails qui m'ont surprise et m'on fait douter de la cohérence de l'histoire.
Ne croyez pas que je fais ma bobo, qui, sans jamais avoir connu le chômage, se permet de critiquer les chercheurs d'emploi ou les malades longue durée. J'ai bien connu les deux, merci. Mais avec un deuxième salaire à la maison, même relativement modeste, on arrive à s'en tirer. Si on ne fait pas d'excès évidemment. Et on revend la maison si elle s'avère trop coûteuse pour le budget familial.
J'avoue que cette quête, cette supplication, cette épouvante, m'ont légèrement agacée. Et puis c'est beaucoup trop pathos. Marion Cotillard en fait des caisses... Elle est formidable, pour le personnage qu'on lui a écrit, certes ! Mais il est presque antipathique tant il est larmoyant. Heureusement, ça s'arrange sur la fin, avec la petite "morale de l'histoire" : l'important c'est de se battre. Ce qui devient un vaste sujet ; car tout le monde n'a pas les mêmes armes et la conclusion est donc par trop simpliste.
Les Dardenne semblent vouloir faire de Sandra une héroïne des temps modernes. Sauf qu'une héroïne, c'est quelqu'un d'exceptionnel, qui réussit un exploit inédit, avec un courage extraordinaire. Ici, Sandra ne fait finalement que ce que nous sommes des millions à faire tous les jours : tenter de résister à un système qui nous broie.
Bref. Déçue, pas vraiment, je m'attendais un peu à ce cinéma souffreteux. C'est bien réalisé, même si c'est très très sobre (je préfère d'autres réalisateurs belges, plus déjantés, plus réalistes aussi), bien interprété. Mais ça m'a un peu énervée.
Et puis ça me saoûle aussi qu'on parle de chef d'oeuvre dès que les Dardenne sortent un film... Ce qui fut le cas pour celui-ci, couvert de récompenses et nominations diverses. Les critiques parlent de la remarquable description du monde du travail. Bof. Ce n'est qu'un tout petit exemple, dans une toute petite entreprise (seize employés)... c'est "juste" un licenciement parmi tant d'autres. Et il existe toutes sortes de situations bien plus délirantes, bien plus destructrices.