Il est des mots qui font rêver. Tel Nouaison, qui non seulement rime avec floraison, mais en est en quelque sorte l'aboutissement puisqu'il signifie l'opération de transformation de la fleur en fruit. La protagoniste du livre éponyme de Silvia Härri reconnaît avoir volé cette définition dans le dictionnaire:
Nouer (v. intransitif): passer à l'état de fruit."
Seulement, ne noue pas qui veut. La maternité, en dépit des progrès de la gynécologie et de l'obstétrique, a gardé sa part d'imprévisible. La nature ne fait pas toujours bien les choses. La protagoniste en sait un bout sur le sujet.
Après un examen où elle a plongé, des pieds aux seins, dans un engin qui l'a englouti dans sa carapace de métal, le verdict est tombé: il lui faut subir une intervention chirurgicale bénigne pour "ouvrir, racommoder, recoudre, joindre, réunir, fusionner ce que la nature a séparé par erreur":
"Demain elle ira montrer l'objet de l'erreur comme au service après-vente. Le plombier, le garagiste, l'électricien ou le médecin changeront la pièce qui dysfonctionne. C'est leur métier, paraît-il. Elle redeviendra une vraie femme, ont-ils annoncé."
Après avoir guetté ses semblables sur le point d'enfanter, calculer le nombre de mois, scruter leur démarche, étudier la forme de leurs courbes, voyager autour de leur globe, elle se fait opérer pour que soit démenti le rêve récurrent où elle découvre à la fin une poussette vide.
Désormais, elle peut espérer qu'à son tour son ventre vide se remplira. Le fait est qu'il se remplit et qu'au petit locataire elle fait écouter Bach, Brassens et Mozart: "Il paraît que Mozart rend joyeux, Bach intelligent et Brassens immortel". La musique ne fait pas qu'adoucir les moeurs, elle coule dans le cordon...
Le moment venu, le locataire ne veut pas quitter son nid douillet: "Il s'est planqué la tête sous les côtes. Il a bien raison. Pourquoi devrait-il obéir aux mains gantées de plastique? Rebelle, il leur donne du mal (tu es déjà fière de lui)".
Le ventre se vide: "Il passe, tu es en vie. Il passe, je suis en vie." Il existe et elle en a les preuves maintenant, tangibles. Dans sa joie d'être restée en vie, elle peut même se demander lequel des deux, d'elle ou de lui, est le nouveau-né...
Nouaison est le récit d'une maternité dont l'issue n'est pas gagnée d'avance. Même si elle emploie la troisième personne pour ce récit, et, de temps à autre, le tutoiement pour les moments d'exhortations, c'est bien l'esprit d'une mère que Silvia Härri livre au lecteur.
Raconter les tribulations de l'infertilité, puis celles de la grossesse, enfin de l'accouchement, pourrait n'être que banal et ennuyeux, si l'auteur ne jouait les notes d'une petite musique bien à elle pour les évoquer, tantôt poétique, tantôt combative, sans être dépourvue d'humour.
Poétique, elle emprunte, par exemple, ses images à l'art pictural: "Tu voudrais être comme ce semeur de Van Gogh qui te frappe chaque fois que tu le contemples. Silhouette courbée sur un champ violet, tout entière à sa tâche, se détachant sur un ciel fulgurant d'or et de vert tendrement acide."
Combative, elle s'en prend vivement, par exemple, à Müller dont le défaut de fusion partiel ou total des canaux est à l'origine de l'anomalie de l'appareil féminin de son héroïne. Ce qui se traduit par cette tirade molièresque:
"Müller est un inconnu.
Müller ne comprend rien.
Müller est un con.
Il ferait mieux de se la fermer avec ses mots stériles et ses définitions tordues, il ne devrait pas s'inviter entre ses cuissses, elle ne lui avait rien demandé. Il aurait mieux fait de rester chez lui. Au moins tout serait comme avant."...
Francis Richard
Nouaison, Sivia Härri, 104 pages, Bernard Campiche Editeur
Livre précédent de l'auteur paru chez le même éditeur:
Loin de soi (2013)