L’entreprise au cœur de l’incertitude et des émergences
En marchant dans les rues de Paris ou de toute autre grande ville du monde, je suis frappé par la complexité sous-jacente qui permet à notre société de fonctionner : un enchevêtrement d’entreprises est nécessaire à son existence, et la production cahin-caha, au moins jusqu’à ces dernières années, de la croissance. C’est une toile finement tissée faite de sous-traitants et donneurs d’ordre, fournisseurs et clients, partenaires et compétiteurs, qui font que tout un chacun trouve les produits qu’il cherche. Regardez autour de vous et essayez donc de compter le nombre d’entreprises qui ont dû intervenir pour faire exister ce qui vous entoure et vous le rendre accessible : une voiture, un immeuble, un téléphone, un yaourt, un légume… Impossibles identification et comptage. Il y a quelques siècles, c’était simple : nos villes étaient nées des mains de ceux qui les habitaient, et personne n’était bien éloigné de l’origine de ce qu’il trouvait dans son assiette, de l’objet qu’il saisissait ou du mur qui l’entourait. Encore à la fin du dix-neuvième siècle, il n’était pas difficile de démêler les enchevêtrements qui étaient sous-jacents à notre existence personnelle : les biens industriels étaient rares, et souvent complètement conçus et construits en un lieu unique ; l’industrie agro-alimentaire n’existait pas, ou presque ; les produits agricoles, sauf des exceptions comme le café ou le poivre, voyageaient peu. (…) Parallèlement à l’élaboration progressive de ce tissu économique fait de codépendances et de coproductions, la notion même d’entreprise s’est compliquée au fur et à mesure de l’accroissement de leurs tailles et de l’apparition d’expertises internes : nées initialement autour d’un leader ou d’une équipe, à partir d’une idée ou d’un premier client, sur un territoire donné, à l’instar d’un corps vivant qui se démultiplie, elles sont parties à la conquête de nouveaux territoires, articulant petit à petit chaque jour davantage de ressources techniques, financières et humaines, internes comme externes, associant fournisseurs, autorités publiques et clients. Leurs intérieurs sont devenus habités par une multitude de matriochkas qui se chevauchent et s’emboîtent, constituant autant d’unités d’appartenance : des équipes dans des ateliers, dans des usines, dans des filiales, dans des divisions ; des organisations marketing, à côté des structures industrielles, de recherche, financières,… ; des syndicats, des comités d’établissement, des comités d’entreprises, des comités de groupe ; des clubs sportifs, des réseaux d’anciens de la même école…(extrait des Radeaux de feu)