Le 27 octobre 2005, deux collégiens, Zyed Benna (17 ans) et Bouna Traoré (15 ans), de Clichy-sous-Bois, mouraient électrocutés à l'intérieur de l'enceinte d'unposte électrique. Lundi 18 mai 2015 (!), le tribunal de Bobigny prononçait la relaxe de deux policiers accusés de non-assistance à personne en danger. Le Monde daté du 20 mai titre ainsi : « un jugement qui fait prévaloir le droit sur l’émotion ». Pour ma part, je n’ai pas vraiment perçu l’émotion des policiers mêlés à ce drame. Quant au droit, le tribunal a estimé que la phrase prononcée par [ Sébastien Gaillemain ] sur les ondes de la police — « S'ils entrent ici, je ne donne pas cher de leur peau » — ne suffisait à établir avec certitude que le policier avait conscience du danger mortel couru par les adolescents.
Là, j’avoue ne pas comprendre. Lorsqu’on ne donne pas cher de la peau de quelqu’un, pour moi cela signifie que l’on pense que ce quelqu’un a peu de chances de s’en sortir vivant. Je ne vois pas quel autre sens pourrait être donné à cette expression. Dire qu’un homme qui prononce cette phrase n’a pas conscience de l’existence d’un danger mortel laisse supposer qu’il est précisément sans conscience. De plus, comme son nom l’indique, le délit de non-assistance à personne en danger est constitué même sans que le dit-danger soit mortel.
Ce jugement va encore plus loin. Il indique que, au contraire : « si Sébastien Gaillemin avait eu conscience d'un péril grave et imminent, il n'aurait pas manqué de réagir ». On ne saurait imaginer démonstration plus convaincante : il n’a pas réagi, donc c’est qu’il n’avait pas conscience du danger. Quel défi à la logique ! C’est comme si l'on disait que, les policiers étant assermentés, ils ne mentent jamais.Le seul fait établi est qu’il n’a pas réagi, le reste n’est qu’hypothèses.
Autre perle dans la bouche du procureur Delphine Dewailly : « Quelle raison auraient-ils eue de laisser deux jeunes courir un danger mortel ? Dire que les policiers auraient acculé ces jeunes ne correspond pas à la réalité ». Étrange affirmation de celle qui a rappelé que, pour condamner, « le droit exige une certitude ». Tenons-nous en aux faits : les policiers ne sont pas intervenus. Peu importe pourquoi, que ce soit par négligence, volonté de punir ou indifférence. La seule certitude, c’est qu’ils ont abandonné à leur sort trois adolescents. Voilà un tribunal prompt à prendre ses hypothèses aventureuses pour des certitudes. Assurément, une justice exempte d'émotion!