Avec un nouvel album, Loud Like Love, le dernier d’une carrière entamée, il y a vingt ans. Placebo revient avec un visage différent, plus humain, plus sensible, plus mélancolique à découvrir en festival au quatre coins de la France, cet été.
Pour commencer, comment allez-vous ?
Brian Molko : Ça va pas mal. Nous sommes un peu fatigués, on vient de faire notre première émission de télé. Le Loud Like Love TV, sur YouTube, une émission de 90 minutes voire un peu plus, une façon de lancer l’album en live dans plusieurs villes : Londres, Tokyo, Los Angeles.
Quatre ans se sont écoulés entre Loud Like Love et votre précédent album Battle For a Sun, que s’est-il passé pendant toutes ces années ?
Brian Molko : Vous savez c’est normal : On enregistre, on sort l’album, on tourne pendant de deux ans un peu partout dans le monde. On a pris quand même six mois de congés avant de commencer à travailler sur un nouvel album… Sauf qu’au lieu de prendre six mois pour le faire, ça nous en a pris onze.
Pourquoi autant de temps ? Etait-ce difficile ?
Brian Molko : La musique pas vraiment, par contre les paroles, ça été plus difficile pour moi. Je suis de plus en plus dur avec moi-même, d’un point de vue qualité. Je n’ai pas envie de me répéter, même si c’est inévitable, parce qu’on a un style très marqué mais on est toujours à la recherche d’un nouveau sens, d’une nouvelle manière d’aborder notre identité. On a beaucoup plus jeté dans cet album, même des mélodies qu’on aimait vraiment mais qui n’étaient pas assez fraîches. Il faut apprendre à jeter gracieusement, à ne pas être précieux.
Stefan O : Avec six albums, c’est toujours difficile de ne pas se répéter, il m’arrivait de trouver des mélodies, de me dire que c’était très bien, et puis en fait ça ressemblait à quelque chose qu’on avait déjà fait.
Justement avec six albums, composer de la nouvelle matière devrait être plus facile ?
Brian Molko : Non, bien au contraire. Parce qu’on a envie d’évoluer, de s’améliorer. Si nous étions un groupe carriériste, nous aurions fait pleins de chansons qui ressembleraient à nos plus grands tubes, mais ça ne nous intéresse pas, même si on pense que c’est ce que voudraient certaines factions de notre fan-base. Nous, on fait de la musique pour se faire plaisir et on espère ensuite que les autres prendront du plaisir à nous écouter. Si on ne prend pas de plaisir, cela devient mécanique et sans âme… et emmerdant.
Est-ce qu’en composant vous pensez justement à ce que pourront penser vos fans de vos chansons ?
Stefan : Si on commence à faire vouloir plaisir à quelqu’un on n’arrive jamais au but qu’on se fixe parce qu’on n’a aucune conviction émotionnelle. La musique c’est quelque chose de tellement personnelle. Quand on compose, on ne pense pas aux fans, il faut que les chansons nous plaisent à nous d’abord. On se dit aussi que l’on crée des chansons qu’on va jouer sur scène pendant deux ans voire même plus, si on n’y croit pas un tout petit peu, c’est du suicide.
Brian : En fait, nous prenons beaucoup de plaisir à semer la confusion dans la tête de nos fans !
Et avec cet album, Loud Like Love, est-ce que les fans ont été surpris ?
Brian : Universellement, l’album a pour le moment bien été recueilli. C’est la preuve que si l’on fait vraiment quelque chose avec passion, ça se voit et ça s’entend. Et les fans le reconnaissent que cet album a été fait avec beaucoup d’amour.
L’amour, c’est le thème omniprésent de ce nouvel album…
Brian Molko : Love is drug… mais c’est aussi une addiction, il y a des gens qui souffrent de ça. L’addiction à l’amour et au sexe sont complètement différentes de l’addiction à l’alcool ou aux drogues, mais c’est quelque chose qui existe… Mais, on n’en a pas choisi de thème pour écrire cet album… C’est le processus créatif lui-même qui dicte ça et qui devient la source d’inspiration. On crée la musique de façon instinctive. C’est après qu’on se rend compte dans notre subconscient qu’à ce moment-là on est en train de parler d’amour. C’est plus honnête de faire comme ça. Je sais qu’il y a des groupes qui écrivent de façon beaucoup plus intellectuelle mais ce n’est pas trop notre truc.
Cet album est très différent du précédent, il est plus doux, plus sensible, plus mélancolique, pourquoi l’avoir voulu comme ça ?
Brian Molko : On ne l’a pas voulu. Mais ce qui est vrai c’est que pour chaque album nous ne voulons pas refaire la même chose que le précédent. Ne pas utiliser les mêmes méthodes : c’est par ça qu’on commence. Mais on ne choisit pas l’atmosphère où les sujets qu’on va aborder. Ça ne reflète pas un état d’esprit mais plutôt une discipline, c’est-à-dire que c’est en faisant que vient l’inspiration. On n’est pas ce genre d’artistes qui attendent que l’inspiration vienne, c’est à travers le travail que ça vient.
Quel a été la chanson la plus difficile à écrire pour cet album ?
Stefan : Loud Like Love et Begin to the end sont venus très vite, mais on a eu du mal avec One Million Little Pieces.
Brian Molko : Ça nous a pris longtemps pour trouver le style qui collerait parfaitement à cette chanson-là. On a finalement eu le déclic en répétition avec notre producteur. Il est presque devenu un quatrième membre du groupe. Pendant l’écriture nous étions tellement impliqués émotionnellement qu’on n’avait plus de recul ni de perspectives. C’est essentiel d’avoir quelqu’un de plus objectif, d’extérieur pour te dire : « voilà tu as trouvé ou non c’est pas encore ça ». Et un bon producteur ne te dit pas comment tu dois faire, mais il insiste pour que tu continues et que tu découvres toi-même où est-ce que tu veux aller.
Il y a une chanson se démarque des autres dans cet album, c’est Bosco, une ballade au piano, très pure. Racontez-nous un peu son histoire.
Brian Molko : ça parle d’une relation amoureuse tragique, déchirée par les addictions. Ça parle aussi de la recherche de la rédemption, et de demande de pardon. Ce qui est intéressant, c’est que le premier morceau de l’album Loud Like Love et le dernier Bosco ont été écrits en même temps. D’un côté on a les grosses guitares saturées, punk, optimistes, de l’autre une histoire tragique. On s’est dit qu’on avait là tous les spectres des émotions à explorer entre ses deux chansons-là.
C’est aussi une chanson très triste. Beaucoup considèrent que les chansons les plus tristes sont toujours les plus belles, qu’en pensez-vous ?
Brian Molko : les chansons les plus tristes sont les chansons les plus tendres, mais pas toujours. Les plus belles, c’est extrêmement subjectifs et ça dépend de ce qu’on trouve beau. Personnellement, ce sont les chansons tristes et les airs mélancoliques qui me touchent le plus, mais d’une façon très positive. J’ai le sentiment d’être très en vie en les écoutant car elles provoquent des émotions très fortes, comme avec cette chanson des Beatles, Yer Blues écrite par John Lennon. C’est une chanson extrêmement triste, complètement déprimée, mais la musique est assez violente, du blues hard qui laisse échapper plein de frustration et de colère. Ça vient forcément avec la tristesse… Nous sommes de grands fans des Beatles.
Stefan : Il y a différents degrés dans la tristesse. S’il y a de l’espoir alors ça peut être très poétique. Bosco par exemple m’a énormément touché parce que c’est une chanson très triste avec peu d’espoir, c’est très lourd. Mais c’est beau aussi.
Il y a un morceau qui a fait beaucoup parler d’elle à cause de son double-sens, c’est Rob The Bank…
Brian Molko : (Rires) oui ce n’est pas une chanson sur la crise financière comme beaucoup le pense. Il faut regarder un peu sous la surface ! En fait c’est une chanson qui parle de l’obsession charnelle, de la jalousie. Le narrateur de cette chanson dit : « tu peux braquer des banques, te foutre de la gueule des handicapés, te comporter de manière antisémites, je m’en fous, dès que tu rentres à la maison, sois satisfait. Mais si tu regardes quelqu’un d’autre de la même manière que tu me regardes, fais gaffe ! » L’obsession et la jalousie, ce sont deux choses qui m’intéressent : comment parler de l’amour, sans parler de son côté brutal et violent ?
Quand on a votre carrière, on a encore des rêves à réaliser ?
Il y a encore tellement à faire ! Nous sommes conscients d’être dans une position très privilégiée. On a la chance de pouvoir encore faire ce que nous aimons après une vingtaine d’années et que les gens nous écoutent encore. Pourvu que ça dure, parce que nous ne savons rien faire d’autre. (rires)
Propos recueillis par Swann Bouchoul pour Métronews