Le cadavre numéro 12 sur une dalle de l’hôpital de la charité.

Par Bernard Vassor
Par Bernard Vassor  

 

A écouter sur le site Gallica de la BnF

LA VOULZIE

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k129692v.r=H%C3%A9g%...

  Hégesippe Moreau (1810-1838) Felix Pyat qui avait tenu à rencontrer 6 mois auparavant Hégésippe Moreau à l'imprimerie de la Revue du Progrès raconte dans un article de cette publication :
-"Le 20 décembre 1838, à midi, je me suis transporté, en la compagnie de MM. Altaroche et Sainte Marie Marcotte, à l'hôpital de la Charité et là, j'ai trouvé dans la salle d'amphithéâtre, sur une table de pierre un cadavre. Ce cadavre était nu, couché sur le dos, les mains croisées devant la poitrine, la tête un peu penchée vers l'épaule droite et les yeux tout grands ouverts.-Quel était ce cadavre ?-C'était le numéro 12. Il meurt tant d'hommes là qu'on ne les appelle plus, on les numérote.-Quel était ce numéro douze ?-- Un poète.- Quel poète ?-- Hégésippe Moreau" Si j'étais arrivé une demi-heure plus tard dit-il, le travail de la dissection était opéré, et les restes du défunt auraient disparu.  Orphelin,, élevé par charité dans un séminaire, il fut d'abord correcteur dans une imprimerie à Provins. Après quoi, il vient à Paris travailler dans les ateliers de la maison Didot en 1829. Il est pris par le démon poétique, il fait des vers, Des vers fort bons au dire des amis auxquels il en faisait la lecture. Il présenta une série de poèmes au Journal des Demoiselles dirigé par Mme Fouqueau de Passy qui les trouva fort beaux, mais lui demanda de faire de la prose, les vers ne convenant pas aux jeunes filles. Mais sur recommandation de cette dame, il s'en fut porter "L'Enfant maudit" à Latour Mézeray qui le publia dans le "Journal des Enfants" . La poèsie n'étant pas à la mode, faisons de la prose se dit le jeune homme.. Il composa coup sur coup la Souris Blanche, les Petits Souliers, Gui de Chêne, le Neveu de la fruitère, qu'il réunit en un volume sous le titre "le Myosotis". Dans sa mansarde du quartier latin, il n'avait pas tous les jours de quoi manger, les éditeurs de l'époque n'ouvrant leur porte qu'aux auteurs connus.Le Corsaire a publié de lui une chanson : les Cloches, et le Charivari : Lacenaire poète., pas  de quoi manger pendant une semaine. Les poètes tombaient comme des mouches ces années là : Elisa Mercoeur la Sapho de la Loire et Emile Boulland s'éteignaient dans le dénuement et la misère. *"On raconte qu'une nuit, pendant qu'il errait dans une nuit de colère dans les rue,, le ventre creux, Hégésippe Moreau aurait composé une Ode à la faim. Des vers brûlants dans lesquels il accusait le Ciel  et la terre. Dieu et les hommes, et tout ce qui existe puisque tout est mal (...)il aurait détruit cette noire imprécation. Toutefois, il en est resté un court fragment conservé par l'un de ses amis L. de Faulquemont qu'il a publié dans le "Tam-Tam en 1840 Ces vers les voici : A tout prix, il faut que je mange, Rien ne pourrait m'empêcher, Que le bon Dieu m'envoie un ange, Je le plume pour l'embrocher En 1832, il est hospitalisé à l'hôpital de La Charité Alexandre Dumas (dont l'anniversaire de la mort est le 5 décembre) dans un des premiers articles du Mousquetaire a tenu à consacrer une étude de mille lignes à l'auteur du Myosotis, événement rare chez les gens de Presse.  Il rédigea un projet d’épitaphe pour le tombeau du poète au cimetière du Montparnasse : ICI REPOSE HEGESIPPE MOREAU, POÈTE, MORT DE FAIM ET DE MISÈRE, LE 20 DÉCEMBRE 1938; LOUIS-PHILIPPE ETANT ROI DES FRANCAIS; M. DE MONTALIVET ETANT MINISTRE DE L’INTÉRIEUR; ET M. DE SALVANDY MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE; TIRE DE LA FOSSE COMMUNE ET DÉPOSE SOUS CETTE PIERRE  ...................

Une souscription ouverte dans le but d'acquérir un coin de terre où l'on pût soustraire ses restes à une complète dispersion, ne produisit aucun résultat, et le destin, poursuivant le poète jusque dans la tombe, allait éparpiller ses cendres, quand un homme de cœur, qui fut son constant ami, M. Sainte-Marie Marcotte, acheta personnellement la concession perpétuelle d'un terrain dans lequel le corps de Moreau repose encore aujourd'hui. M. Sainte-Marie Marcotte raconte ainsi, avec une discrétion qui l'honore, dans la biographie qu'il lui a consacrée, la translation des cendres de son ami: « Un matin, au mois de janvier 1840, deux jeunes gens suivaient tête nue, à travers le cimetière du Montparnasse, les fossoyeurs qui « avaient exhumé de sa fosse provisoire le corps le de Moreau et le portaient à son dernier asile. Ils y étaient seuls. » L'un de ces deux jeunes gens était M. Sainte-Marie Marcotte lui-même.

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Deux de ses amis, des poètes ouvriers comme lui tinrent à lui  rendirent un hommage posthume 

C'est d'abord le regretté Pierre Dupont, à qui Hégésippe

 Moreau est doublement cher, et comme poète,

et comme enfant de Provins par affection, qui écrit :

Passant, sur la pierre qui s'use

Aux baisers de l'air et de l'eau,

Lisez un nom cher à la muse ;

Hégésippe Moreau.

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C'est ensuite Pierre Lachambeaudie le saint-simonien,  qui s'écrie, en songeant au Myosotis, sublime héritage du poète :

Salut à vous, fleur de saphir,

De l'amour gracieux emblème!

Douce compagne du zéphir,

Plus je vous vois, plus je vous aime

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EXTRAIT DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE ÉCRITE PAR SON AMI

SAINTE-MARIE MARCOTTE.

Hégésippe MOREAU fut enfant naturel ; ainsi, dans son dénuement de toutes choses, le nom qu'il portait ne lui appartenait même pas. Il naquit à Paris, rue Saint Placide, n° 9, le 9 avril 1810. Ses parents l'amenèrent tout petit à Provins, où son père avait trouvé une place de professeur au collège et où sa mère entra en condition chez madame Favier. Riais bientôt le père mourut ; la mère, femme supérieure à sa position par la délicatesse de son cœur, le suivit peu d'années après, et tous deux, traçant la route à leur fils, allèrent mourir à l'hôpital. Madame Favier garda avec elle l'orphelin, et veilla sur lui tant que dura son éducation ; c'est par elle qu'il fut placé gratuitement au petit séminaire d'Avon, près Fontainebleau. Moreau y composa ses premiers vers, à l'âge de douze ans; ses

impressions au séminaire, les vagues rêveries de son enfance poétique, il les a lui-même racontées dans la première pièce du Diogène. il eut terminé ses études, ta quinze ans, il entra

en apprentissage, par les soins de madame Favier chez un imprimeur de Provins. Ici commence pour Moreau une série de jours heureux, les seuls qui lui aient été dévolus sur la terre, pendant lesquels il dormit d'un doux sommeil, ne comptant ni les mois, ni les années ;jours pleins de lumière et de soleil dont ensuite le souvenir le poursuivit à travers les froides

ténèbres du reste de sa vie, et qu'il revoyait encore, à ses derniers instants, du fond de l'hôpital. Auprès de lui, sous le même toit, était une femme dont la cœur l'avait compris. Cette

 *Philibert Audebrand , Les derniers Bohèmes 

 MISE A JOUR LE 19 MAI 2015