Lundi soir, en même temps que la présentation en séance au Festival de Cannes, « la loi du marché », de Stéphane Brizé, (avec un Vincent Lindon impérial), était présenté en avant-première au Gaumont Wilson.
Stéphane Brizé fait partie de ces réalisateurs français qui, sans être de vieux routiers, ont déjà un certain métier, et savent tisser une histoire solide, bien enracinée dans la France d’aujourd’hui. Il arrive avec ce film au chiffre canonique de sept longs métrages, avec un acteur qui devient un peu son « porte drapeau », Vincent Lindon. Et celui-ci est en train de tracer un sillon de belle taille, de marquer de son empreinte le cinéma français, avec des personnages auxquels il donne une existence terrienne, massive, d’une crédibilité époustouflante. Dans « Welcome », de Philippe Lioret, Lindon interprétait un maître-nageur comme s’il avait fait cela toute sa vie. Ici, chômeur obligé de prendre le premier boulot qui vient, c’est-à-dire vigile dans un supermarché, il accomplit sa tâche en lui donnant une dimension qu’aucun autre acteur d’aujourd’hui ne pourrait donner. On pense ( mais Lindon va bien au-delà), aux rôles endossés par Richard Bohringer il y a une vingtaine d’années, ou, en allant encore plus loin, à ce que faisait passer à l’écran un Lino Ventura, par exemple.
« La loi du marché » a été tourné rapidement, en Normandie, avec un budget ric-rac, mais Brizé tourne ces contraintes à son avantage, en filmant tout le temps en plans serrés, avec des séquences courtes, sèches, sans fioritures, dans lesquelles les visages disent tout. La scène dans laquelle Vincent Lindon essaie de vendre un mobil-home à un acheteur qui essaie de l’entourlouper est, à cet égard, formidable. La discussion entre cet homme, carré et droit, et son interlocuteur, filandreux à souhait, vient en écho de celle où la chargée de clientèle d’une banque propose à Lindon des produits financiers dont il n’a aucun besoin, lui, le chômeur qui recherche à toute force un nouveau job. Mine de rien, le réalisateur nous parle d’une France en perte de repères, dans laquelle on fait tourner des séquences vidéos à des gens un peu déboussolés pour leur apprendre à passer un entretien d’embauche, et où l’on fait commenter les prestations télévisuelles des uns par les autres, dans un cruel jeu de massacre.
Stéphane Brizé nous dit tout simplement qu’il n’y a pas des salauds, des exploiteurs d’un côté et de pauvres gars sans défense de l’autre côté. Tout le monde : conseiller à Pôle Emploi, employée de banque, directeur de supermarché, joue son rôle, avec, quelque part, la conviction que tout cela ne sert pas à grand-chose, que, dans ce jeu social un peu ridicule, on ne peut compter que sur soi même. Mais il le fait avec une grande efficacité, sans misérabilisme, et «la loi du marché » et son interprète principal sont déjà de très sérieux candidats au palmarès du Festival de Cannes 2015. Christian Seveillac (en salles dès mardi 19 mai)
- Date
- Du 19/05/2016 au 31/12/2016
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