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Dans le paysage français, Aquaserge fait office d’OVNI complet : groupe à géométrie variable, porteur d’une musique aussi captivante que complexe à définir, le collectif toulousain d’origine fascine autant qu’il interroge. Mêlant des influences multiples, depuis le jazz jusqu’à la pop en passant par le rock psyché ou le krautrock, Aquaserge semble avoir trouvé la formule parfaite entre improvisation furieuse et écriture minutieuse, s’autorisant un huitième degré bienvenu sous des airs faussement sérieux. Si rien n’a jamais semblé véritablement simple dans le parcours du collectif, le degré d’aboutissement des disques et la singularité de l’approche restent une constante forte, et ce depuis les premiers enregistrements. En témoigne leur quatrième LP, A L’Amitié, sorti en juin 2014, un tournant essentiel dans la vie du groupe qui retrouve, enfin, une attention de tous, public et médias, à la hauteur de l’originalité du projet. Dix ans après les premières sessions organisées entre deux tournées, Benjamin Glibert, Julien Gasc et Julien Barbagallo se retrouvaient le 17 janvier dernier pour un rassemblement anniversaire à l’Olympic (Paris), dans le cadre d’une soirée organisée par La Souterraine. L’occasion parfaite pour en apprendre davantage sur le parcours du trio et en savoir plus sur Ce Très Cher Serge.
Aquaserge l’interview
Dix ans après avoir commencé Aquaserge, qu’est-ce que ça vous fait d’être de nouveau tous les trois là ce soir ?
Benjamin Glibert : C’est étrange mais on n’a pas trop eu l’occasion d’y penser, en fait, on ne se préoccupe pas trop de ce genre de choses, on est plutôt concentré sur le travail, les plannings. On a bossé deux jours pour préparer le live jusqu’à maintenant. Et je dois dire que ça fait un peu peur, en y repensant, de se jeter de nouveau dans ce truc à trois. Même si retrouver ce jeu en trio, ça dégage une certaine fraîcheur. Ca fait un an qu’on joue à cinq avec Julien, il faut tout réarranger, on est obligé d’enlever des choses et de tout réadapter.
Est-ce que ça vous donne l’impression justement d’être revenus il y a dix ans, quand vous avez commencé ?
Julien Gasc : On avait pas mal enregistré de choses à trois en live à l’époque, on retrouve effectivement un peu de cet esprit, oui. Ce soir on va rejouer des choses du premier disque.
Benjamin Glibert : En réalité, on a vraiment commencé l’aventure Aquaserge à huit. Le trio n’est venu que de manière très occasionnelle : c’est le deuxième live qu’on fait à trois, je crois. Entre les albums et les lives, les dynamiques sont très différentes.
A l’origine, Aquaserge était un side-project de vos activités respectives. A quel moment s’est produit le basculement, où vous vous êtes dit que ça allait devenir un projet central pour vous ?
Julien Gasc : C’était six ou huit mois après janvier 2005 à peu près, vers septembre/octobre, on en a eu marre de pas mal de choses, on avait un peu de temps tous les trois, Julien, Benjamin et moi, on s’est dit : « Merde, on va utiliser ce qu’on avait déjà enregistré et se lancer ». A l’origine, la musique d’Aquaserge devait être un album pour Hyperclean.
Il y a d’ailleurs un morceau d’Hyperclean qui s’appelle Aquaserge, une espèce de maquette qui traîne sur YouTube.
Benjamin Glibert : Ouais, on lui a tout piqué à Frédéric (rires). On s’est rencontré par le live avec Hyperclean mais on voulait faire des choses différentes. On ne se connaissait pas avant.
Julien Gasc : On traînait tous les trois dans la scène indie/jazz toulousaine à ce moment-là. Mais tout ça venait d’une volonté de jouer ensemble avant tout. Les premiers enregistrements sont vraiment des jams faits dans l’instant, avec une partie des éléments travaillés en amont tout de même, qu’on avait pensés et réarrangés.
Benjamin Glibert : Mais on est vraiment parti du jeu en priorité, l’élaboration s’est faite sur l’instant.
Cet esprit vient de vos formations respectives ?
Julien Gasc : Je dirais que c’est une forme de collaboration dans laquelle on s’est tous épanouis. Avec la caractéristique principale qu’il n’y a aucun véritable « cuisinier » qui ordonne à ses « marmitons » de réaliser des choses. On est tous cuisinier, on dirige tous à notre façon, par moments, l’orientation du groupe. On se passe le bâton, quand l’un est à plat, il passe le relais à l’autre, etc., tu vois. L’un de nous bosse sur la batterie, par exemple, mais le pattern ne va pas aller, on va le faire de trois ou quatre manières différentes avec les idées de chacun avant de se fixer sur la version finale que l’on va utiliser.
Aquaserge occupe quelle place aujourd’hui, dans vos carrières solo respectives ? Ça reste à vos yeux le side-project que ça a pu être à un moment ou vous placeriez ça aujourd’hui comme votre activité principale ?
Julien Gasc : Benjamin et moi, on se voit super régulièrement, on bosse tous les mois ensemble. Il n’y a que Julien qui est en Australie, c’est plus compliqué du coup. Aquaserge a surtout un peu pâti de certaines relations difficiles avec des maisons de disque par le passé, c’est ce qui fait qu’il y a une aura un peu étrange autour du groupe. Pour nous, on reste un peu ce groupe sous-estimé dont on ne trouve pas les disques en magasin. Mon disque solo, par exemple, s’est très bien vendu, mais Aquaserge avait écoulé 63 copies en six mois, tu vois…
Benjamin Glibert : Avec Aquaserge, on a un peu de mal à trouver encore aujourd’hui la bonne formule « qui marche », je dirais.
Vous sentez tout de même qu’il y a un intérêt croissant ces derniers mois pour Aquaserge, depuis la sortie du quatrième album, il y a un an à peu près ?
Benjamin Glibert : C’est assez récent, ça. Mais il y a tellement d’influences et de choses dans Aquaserge que ça rend la musique difficile à saisir et à définir, ce qui pourrait expliquer la manière dont on avait du mal à nous percevoir jusque-là. Tout ça reste assez insaisissable, même pour nous. Comme je te disais juste avant, ça n’est pas forcément réfléchi et pensé de bout en bout, on se laisse aller où le groupe nous mène. Même si parfois on peut peut-être s’égarer un peu ou faire fausse route.