Magazine Côté Femmes
Scarifications : une expression du mal-être adolescent
AGNÈS LECLAIR.
Publié le 15 juin 2007
Ces entailles dans la peau sont un des nouveaux signes du trouble identitaire des adolescents. Au point que la défenseure des enfants travaille sur le
sujet.
Les automutilations sont souvent envisagées comme un rituel de passage ou pour marquer l'appartenance à un groupe.
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« JE ME SUIS coupé plusieurs fois les poignets avec un trombone. C'était le soir, dans ma chambre. J'étais en colère et triste à la fois »,
confie Marion. Âgée de 14 ans, elle a l'allure de la plupart des filles de son âge, cheveux mi-longs, tee-shirt, jean et baskets. Un bandeau de tennis autour de son poignet dissimule des
cicatrices déjà presque effacées. D'une voix peu assurée, elle raconte pour la première fois ses « bêtises » à une psychologue clinicienne d'un centre médico-psycho-pédagogique
dans l'Aisne. Des « bêtises » qui ont pour nom scarification ou automutilations.
Cette pratique est de plus en plus fréquente chez les adolescentes. Moins concernés, les garçons préfèrent diriger leur souffrance vers l'extérieur plutôt que sur leur corps. La
scarification consiste à s'entailler la peau des poignets, bras, parfois des cuisses et du ventre à l'aide d'un objet tranchant, généralement un rasoir ou un cutter. Elle trouve son origine dans
les sociétés traditionnelles, où les scarifications sont effectuées comme un rituel de passage ou pour marquer l'appartenance à un groupe. « L'adolescence est toujours un âge fragile,
mais aujourd'hui, les jeunes portent un regard différent sur le corps et certains semblent parfois vouloir l'éprouver ou ressentent le besoin de le déchirer, le découper » s'inquiète
Dominique Versini, la défenseure des enfants, qui a choisi de se pencher sur les nouvelles manifestations de la souffrance psychique des adolescents - comme la scarification - dans son rapport
annuel prévu pour le 20 novembre prochain.
«Un sentiment d'apaisement»
En France, il n'existe pas d'étude chiffrée sur ce phénomène encore un peu tabou. Les automutilations toucheraient plus de 3 millions d'Américains et représenteraient 10 % des
hospitalisations de jeunes adolescents en Grande-Bretagne d'après un ouvrage du psychiatre Armando Favazza datant de 1996. Seul l'Inserm a relevé dans son enquête 2004 sur la santé des 14-20 ans
sous protection judiciaire de la jeunesse que 14 % des filles et 4 % des garçons interrogés déclaraient avoir des scarifications.
Lors de cette première entrevue avec une psychologue clinicienne, Marion est venue accompagnée de sa mère. Cette dernière mobilise la parole, laissant sa fille s'enfoncer dans un mutisme
teinté de honte. « Marion, comment as-tu eu cette idée ? », relance la psychologue. « J'ai vu une fille se couper dans la cour de l'école. Je lui ai dit que moi
aussi, j'allais le faire », se rappelle Marion. «Elle fait toutes les bêtises de ses copines », soupire sa maman, soucieuse et un peu envahissante. « Le phénomène
d'imitation ne doit pas occulter un véritable mal-être » prévient la psychologue clinicienne et psychiatre Catherine Rioult qui a fait de la scarification son sujet de thèse.
« Ces adolescentes s'entaillent pour matérialiser une douleur psychique insupportable. Avec les coupures, la douleur devient tangible, plus gérable et elles éprouvent un sentiment
d'apaisement », explique-t-elle. Marion, pourtant, dit n'avoir senti aucun soulagement après s'être tailladée. Elle a cependant réitéré son geste, quelques mois après ses premières
coupures, en se griffant le ventre avec la tige d'une boucle d'oreille. Pendant l'acte, la majorité des adeptes des scarifications disent ne ressentir aucune douleur. Elles aiment ensuite
regarder leur sang couler. « C'est une preuve de vie et un acte conjuratoire. Elles veulent faire sortir le mauvais sang comme dans une saignée », analyse Catherine Rioult.
Les cicatrices laissées par ces blessures jouent aussi un rôle. Les adolescentes les montrent ou les cachent selon les circonstances. « Elles se marquent pour se démarquer de leurs
parents et pour montrer combien elles souffrent sans avoir besoin de le formuler. Peut-être parfois pour détourner l'attention des signes naissants de leur féminité », note la
psychologue. Comme une écriture sur la peau, ces traits doivent être lus. « Le passage à l'écriture sur le papier correspond à l'arrêt des scarifications », conclut Catherine
Rioult.
Source : http://www.lefigaro.fr/