Le grand large, c'est toute sa vie. Lorsqu'elle se ressource sur son bateau, lorsqu'elle milite contre la dégradation des océans. Et même lorsqu'elle prend la plume. Isabelle Autissier sera au festival Etonnant voyageurs qui se tient du 23 au 25 mai, à Saint-Malo.
“La question de l'engagement, pour moi, remonte à loin”, Isabelle Autissier.© Aurélien Chauvaud pour Télérama
La veille, elle était au Chili. Quelques jours plus tard, elle partait pour la Norvège. Pour rencontrer Isabelle Autissier, il faut viser juste, se glisser dans un interstice de son emploi du temps tout ensemble chargé et nomade. Lorsqu'elle n'est ni en mer, du côté de l'Antarctique ou du Grand Nord, ni en mission pour le Fonds mondial pour la nature (WWF), dont elle préside la branche française, c'est à La Rochelle qu'Isabelle Autissier, 58 ans, se pose, éventuellement se repose – mais jamais vraiment, et jamais très longtemps. « Disons que je passe un petit mi-temps chez moi. J'aime bien être tranquille à la maison, regarder pousser mes légumes. Mais j'adore aussi faire mon sac ! » confie-t-elle. La voix et les pensées remarquablement claires, telle est l'impression immédiate que produit Isabelle Autissier. Quinze ans après qu'elle a arrêté la navigation de compétition, son aura n'a pas faibli. Sa notoriété – tissée avec une compétence scientifique et un puissant désir d'agir –, elle la met au service du combat pour l'environnement. Et le temps qu'il lui reste, elle le consacre désormais notamment à l'écriture romanesque. Aujourd'hui paraît Soudain, seuls, son troisième roman, une histoire de survie d'un réalisme parfois violent, porteuse d'une méditation sur la place de l'homme dans la nature. Extrait de l'entretien à lire dans Télérama, en kiosque mercredi 20 mai.La mer est-elle la seule continuité dans votre existence ?Une autre force m'a sans doute tirée vers l'avant : une sorte de curiosité. J'ai toujours envie d'aller voir ailleurs, de pousser des portes, d'essayer des choses nouvelles. Cela m'a amenée à emprunter des chemins que je n'envisageais pas de prendre. Je m'étais conçu une carrière de scientifique, avec certes l'idée, un jour, de naviguer loin, mais pas de façon compétitive. Les compétitions sportives, ma famille y était totalement étrangère. Par contre, nous faisions du bateau en famille. C'est la curiosité qui m'a entraînée vers la course au large. Je me suis construit un bateau, j'ai pris une année sabbatique pour partir. Tout se passait bien, alors quand je suis revenue, j'ai eu envie de repartir. Et je me suis dit : la course, ce doit être amusant, une autre façon de voir la mer, je pourrais y apprendre plein de choses. Je ne savais pas si ça me plairait, si je saurais le faire, si je serais bonne dans une activité de compétition. Il s'est avéré que oui, parce qu'il y a, dans la compétition, une dimension ludique que j'adore. La course au large, c'est du jeu – avec des jouets qui coûtent très cher, mais du jeu quand même.Parallèlement à la curiosité, je dois à mes parents et à l'univers familial dans lequel j'ai grandi de posséder une grande confiance en moi. Je n'ai pas peur de me casser la figure, car je sais qu'au fond ce n'est pas grave, ça n'entache pas ce que je suis. Je me sens solide sur la terre comme sur la mer, donc je n'ai pas peur d'essayer. Quand j'ai une envie, j'y vais.Quand vous avez cessé la compétition, l'engagement s'est présenté comme une suite naturelle de votre parcours ?La question de l'engagement, pour moi, remonte à loin. En 1968, j'ai 12 ans, donc je suis un peu jeune, mais j'ai des soœurs aînées qui vont aux manifs, et cela m'intéresse. Quelques années plus tard, à l'adolescence et jusqu'à 20 ans, j'ai une conscience sociale forte, je suis très engagée : dans les comités de lutte de mon lycée, puis dans les solidarités étudiants-travailleurs, le soutien à la Palestine ou au Vietman…Bref, tous les combats de gauche et même d'extrême gauche des années 70-80. Je ne crois plus guère aujourd'hui à l'avènement du Grand Soir, mais à l'époque ça me tirait vers le haut, ça m'ouvrait sur le monde. A 16 ans, j'ai intégré le mouvement Révolution et mené durant deux ans une vraie vie de militante, entre manifestations et distribution de tracs sur les marchés. Plus tard, lorsque mes études supérieures et mes débuts professionnels m'ont éloignée de ces engagements humanitaires et politiques, j'ai commencé en revanche à toucher du doigt les problématiques environnementales, en lien avec le problème de la surpêche. Et en 2000, lorsque j'ai arrêté la course au large, je savais que j'allais me consacrer d'une manière ou d'une autre à ces questions. D'autant plus sûrement que, entre-temps, ces problématiques étaient devenues de plus en plus énormes, de plus en plus cruciales. Sans être un poids lourd médiatique, je savais que je disposais d'un capital de notoriété, que je faisais partie des figures sportives que les Français aiment bien. Dans notre société, ce genre de capital n'est pas sans valeur, et chacun en fait ce qu'il veut. J'aurais pu simplement le laisser s'éteindre peu à peu, ou choisir d'animer une émission sur TF1. Mais j'ai décidé de rejoindre le WWF, une organisation à la démarche plutôt pragmatique, dont la raison d'être est de convaincre tant les hommes politiques que les entreprises ou l'opinion qu'il y a des solutions à trouver et à mettre en œuvre.Comment l'écriture s'inscrit-elle aux côtés de la science, de la voile, du militantisme ?C'est toujours le même genre de démarche, au fond : pousser la porte, pour voir. De l'extérieur, j'ai peut-être un côté touche-à-tout, mais pas de mon point de vue. Je suis allée vers la littérature comme j'étais allée vers la course au large, avec l'envie de voir ce que c'était, l'idée que quelque chose de nouveau commençait, que j'allais devoir travailler, mais que j'allais aussi apprendre des choses. J'écris pour échanger, transmettre, être en contact. Parvenir à comprendre ce que nous avons, tous, en commun, qui fait que des personnes différentes de moi, et que je ne connais pas, peuvent recevoir un texte que j'ai écrit et en faire leur miel. Et comprendre aussi comment j'inscris mon parcours individuel dans ce grand parcours collectif qu'on appelle la société.