Quatrième de couverture :
À la Tannerie, le quartier turc de cette ville des Ardennes belges, on marie Evren, l’ancien gardien de but du Sporting. Étrange et grave cérémonie que ce mariage arrangé ou le bonheur, comme le soleil, semblent absents. C’est qu’Evren, le marié, rêve encore de sa cousine Derya – Derya la farouche, la sauvage, Derya la sultane qui l’a refusé…
Les traditions et l’honneur familial sont saufs. Mais, malgré l’interdit, la liberté n’a pas dit son dernier mot…
Quelle lecture remuante que celle-ci ! Le Mois belge s’est terminé il y a peu de temps mais je suis déjà revenue à Armel Job (en réalité, j’espérais que mes élèves choisiraient ce roman dans la liste de fin d’année, mais il n’en est rien et je le regrette !)
Il est question ici des mariages arrangés, de la force des traditions matrimoniales et « d’honneur » dans la communauté turque, que ce soit en Allemagne ou en Belgique, elles sont aussi prégnantes que dans le pays d’origine, la Turquie.
Deux femmes sont au coeur du roman, Derya et Yasemine, deux femmes prêtes à tout pour vivre leur désir : elles emprunteront des chemins bien différents, des chemins parfois lumineux, souvent sombres pour conquérir leur liberté ou pour concrétiser le bonheur auquel elles estiment avoir droit. Derya la rebelle, qui vit en Allemagne, Yazemine la secrète, qui vient de Turquie, toutes deux aussi brûlantes l’une que l’autre…
Autour d’elles gravitent des hommes et des femmes, les pères, les frères, les mères, qui détiennent le pouvoir ou qui arrangent les mariages, qui veillent et surveillent, ou qui transmettent les modèles de la tradition et de la soumission. Mais il y a aussi des gens de bonne volonté, musulmans ou non, qui aident, encouragent, gardent la tête froide.
J’étais assez sidérée de découvrir de l’intérieur la force des traditions, l’étau dans lequel peuvent être enfermées des filles qui n’ont pas droit à la parole ou si peu dans le cercle familial. On sent qu’Armel Job s’est très bien documenté sur le sujet et qu’il a dépassé ce côté informatif pour offrir un roman sensible qui donne tour à tour la parole aux différents protagonistes, nous permettant ainsi de percevoir les enjeux et les points de vue de chacun, en une construction très maîtrisée : je suis bluffée à la fois par ce côté presque « docu-fiction » et par la pirouette effectuée d’entrée de jeu entre le premier et le dernier chapitre, nous interrogeant de manière de plus en plus pressante sur ce qui s’est vraiment passé avec René. L’humour, qui n’est jamais absent chez Armel Job, permet d’ouvrir de temps en temps une fenêtre dans ce climat parfois étouffant.
Des quatre romans d’Armel Job que j’ai lus jusqu’à présent, celui-ci est, je crois, mon préféré avec Dans la gueule de la bête : même si la fin rappelle des procédés romanesques et des thématiques chères à l’auteur (jusqu’au clin d’oeil au nom de Frau Probst, tenancière d’une auberge accueillante en Forêt-Noire, comme dans Les fausses innocences…), il me semble qu’il se démarque par l’audace de la plongée dans un monde à la fois si proche et si différent. Un très bon crû Armel Job !
« Je ne sais pas si la fiancée d’Evren a pleuré le samedi soir. Je ne crois pas. Il m’a suffi le lendemain de rencontrer son regard pour la première fois pour comprendre que ce n’était pas son genre. Je pense qu’elle est restée bien droite sur sa chaise, ses paumes teintées de rouge percées de leur cible blanche reposant sur ses cuisses, le visage tendu, sauvage, comme toujours. Elle a laissé les autres se lamenter sans ciller, devinant fort bien qu’elles pleuraient sur elles-mêmes au souvenir de tout ce qu’elles avaient perdu avant de plier l’échine sous le joug du mariage. Cette affliction, elle s’était juré, j’en suis sûr, de ne jamais la connaître. Le mariage était arrangé sans doute, mais ce qui brillait dans ses yeux ne ferait jamais l’objet d’aucun arrangement. » (p. 29)
Armel JOB, Loin des mosquées, Editions Robert Laffont, 2012 et Pocket, 2014
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