Qu’est-ce que le hasard ? Qu’est-ce qui fait que tel événement se produit ou ne se produit pas ? Pourquoi se produit-il ? Aurait-il pu ne pas se produire ? Existe-t-il une cause supérieure qui déterminerait ce hasard ou bien est-il le fruit de la contingence, de l’arbitraire ? Certains esprits religieux voient la main de Dieu dans tous les événements qui se produisent. S’ils sont bons, c’est la preuve que Dieu est bon. S’ils sont mauvais, c’est la preuve que la divinité punit l’homme pour ses mauvaises actions.
Je me souviens d’un auteur du XVIIIème siècle (lequel ?) qui voyait la main de Dieu dans le fait que le printemps était à la fois doux et humide, ce qui permettait à nos légumes de pousser. Manifestement cet auteur inversait la cause et ses effets. C’est parce que notre climat est comme il est que certains types de plantes poussent dans nos contrées. Si notre climat devenait saharien, nos plantes disparaitraient au profit d’autres, mieux adaptées aux fortes chaleurs.
Les anciens Grecs, eux, imaginaient que les dieux avec les mêmes passions que les hommes (les amours de Zeus…). Ils intervenaient dans les affaires des hommes (voyez la guerre de Troie), soit en les aidant, soit en les aveuglant. Leurs caprices représentent donc bien le hasard de la vie, qui tantôt nous sourit, tantôt nous anéantit. L’homme doit donc se méfier des dieux et essayer de se les rendre favorables. Mais il ne doit compter que sur lui-même pour progresser. Par son courage et sa ténacité, il doit aller de l’avant et forcer le destin à lui être favorable. Pourtant, s’il va trop loin, s’il est trop orgueilleux (Hybris /ὕϐρις), s’il ne garde pas le sens de la mesure, s’il se montre arrogant, les dieux se chargeront de le faire tomber. La vie repose donc sur un fragile équilibre : il faut aller de l’avant, mais ne pas exagérer.
Pour les Grecs comme pour les Chrétiens, il n’y a donc pas vraiment de hasard. Tout semble lié à notre conduite et la divinité n’est jamais loin pour nous punir.
Nous qui au XXIème siècle sommes bien peu religieux, comment expliquons-nous les événements qui nous arrivent ? Pourquoi tel événement se produit-il ? Certes, je peux toujours expliquer les différentes causes qui en cascade ont amené cet événement (un accident par exemple) mais qu’en est-il de la cause ultime ? A mon avis, il n’y en a pas. Certes, si j’étais parti plus tôt ou plus tard, si une vieille dame n’avait pas traversé à tel moment, ou si le feu était passé au rouge, je n’aurais pas eu d’accident au prochain virage. Mais il est difficile d’imaginer que cela soit voulu. Tout est donc lié au hasard. Il y avait des milliers de probabilités pour que cet accident ne se produise pas et une seule pour qu’il se produise. On est là dans une réflexion qui nous rapproche de la physique quantique. Mais comment accepter que le hasard détermine notre vie ? Certes par mes actions je peux tenter de limiter les risques (en ne fumant pas, en ne conduisant pas trop vite, etc.) mais cela ne me donne pas encore une assurance absolue. Il me faut donc bien accepter de vivre dangereusement et savoir que je peux mourir dans une seconde en passant le coin de la rue.
Et qu’est-ce qui détermine une rencontre ? J’aurais pu ne pas être dans tel endroit quand telle personne y est venue. Evidemment, si je reste calfeutré chez moi, je limite les possibilités de rencontres. Mais si je croise telle personne, il faut encore que je prenne l’initiative de l’aborder, ou que les circonstances s’y prêtent. Il faut être ouvert, réceptif. J’ai donc une part de responsabilité dans ma réussite ou mon échec. Il n’empêche que cette rencontre dont nous parlons reste hypothétique et que je suis incapable d’en gérer tous les paramètres pour qu’elle se produise.
Qu’est-ce donc que le hasard ? L’art de saisir les opportunités qui se présentent sans doute. Mais qu’en est-il des événements négatifs ? Les ai-je cherchés, eux aussi ? Ou ne les ai-je pas suffisamment évités ? Quelle est ma part de responsabilité réelle ? D’une manière générale, on pourrait d’ailleurs se demander jusqu’à quel point nous gérons notre vie. Ou est ma liberté, où est mon libre arbitre ? Ne suis-je pas prédéterminé par mon caractère à accomplir telle action plutôt que telle autre (selon que je suis timide, fonceur, aventureux, etc.) ? L’époque dans laquelle je vis n’a-t-elle pas son rôle à jouer (la liberté de la femme n’est pas la même au XVIème ou au XXIème siècle) ? Le lieu n’-t-il pas lui aussi une influence (selon que je nais à Paris dans une famille aisée ou à Bombay sur un trottoir) ?
Qui suis-je finalement, si je ne suis que le fruit de tous ces hasards ?