A Milan en 1992, Simei, directeur d’un journal à créer, engage une poignée de journalistes. Le projet est financé par le Commandeur Vimercate qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Berlusconi. Partant du principe que la presse quotidienne est battue d’avance dans la diffusion des nouvelles par les nouveaux médias, de la télévision à Internet, Simei propose d’écrire un quotidien qui « parlera de ce qui peut advenir demain » en utilisant des « anticipations inattendues. » La rédaction s’attelle à pondre son premier numéro test, le numéro zéro. L’un des journalistes, après enquête, semble avoir soulevé un lièvre de taille, Mussolini ne serait pas mort en 1945, diverses complicités internationales aux plus hauts niveaux auraient permis de différer de vingt ans sa mort, ce qui induit un autre regard sur la vie politique en Italie depuis la dernière guerre… et n’est pas sans danger pour celui qui révélera ce secret.
Umberto Eco s’en donne à cœur joie, théorie du complot, vérités cachées connues des seuls puissants de ce monde, désinformation du peuple par les journaux et les médias en général, mensonges d’Etat etc. Du Gladio (une structure créée dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour parer à une menace d'invasion soviétique. On désigne couramment par ce nom l'ensemble des armées secrètes européennes, dont l'existence a été révélée publiquement en 1990 par le Premier ministre italien Giulio Andreotti) à la loge P2, des services secrets américains exfiltrant d’anciens nazis après guerre aux magouilles du Vatican, des Brigades Rouges à l’attentat de Bologne en 1980, tout est lié et trouve ses racines dans la fausse mort de Mussolini. Glups !
L’écrivain italien met en roman des thèmes déjà abordés dans son essai La Guerre du faux (Grasset, 1985). Une savoureuse dissection des informations diffusées par la presse quand on utilise les bonnes lunettes pour les lire, ce qui lui permet de disserter sur le pouvoir des journaux sur l’esprit de leurs lecteurs.
Le roman est agréable à lire, l’humour et l’ironie sont au rendez-vous, très court (le plus mince de son œuvre romanesque je crois). Un peu déroutant aussi, car écrit dans un style plus simple que d’habitude (Eco s’attache à écrire ses romans dans le style de leur contenu, ici le monde de la presse, donc une écriture sans fioritures) avec très peu de mots rares, ces pépites qui m’enchantent dans ses autres romans, à peine ce « il suffisait de consulter les archives des hémérothèques pour réunir les tesselles de la mosaïque. » Par contre, les jeunes lecteurs seront peut-être largués par les références liées à l’histoire pas si ancienne de l’Italie, citées ci-dessus et dont la presse française (ou une certaine presse, Canard Enchaîné…) se faisait l’écho alors.
Un bon roman certes, mais personnellement, je n’y vois pas là l’un de ses meilleurs comme le disent certains. Je le trouve un peu court/léger pour un écrivain de l’envergure d’Umberto Eco.
« - Excellent les rumeurs, avec quelques détails piquants, comme si ce n’était qu’un billet d’humeur, exotique. Mais il y a aussi une manière de suggérer des noms. Vous pouvez dire, par exemple, que l’endroit est tout à fait respectable parce qu’il est fréquenté par des personnages très comme il faut, et ici vous balancez sept ou huit noms d’écrivains, journalistes et sénateurs au-dessus de tout soupçon. Sauf que, parmi les noms, vous en glissez un ou deux qui sont bel et bien des pédés. On ne pourra pas dire que nous calomnions quelqu’un, parce que ces noms apparaissent précisément comme des exemples de personnes fiables. Mieux, ajoutez quelqu’un qui est connu comme queutard à temps plein et dont on sait même le prénom de la maîtresse. Et, mine de rien, nous avons fait parvenir un message subliminal, comprend qui veut, avec nos informations nous pourrions en écrire bien d’avantage. »