À la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima, le Japon a décidé de revoir complètement sa politique énergétique. Le pays redouble ainsi d’efforts pour développer les énergies renouvelables, avec en ligne de mire les Jeux olympiques de 2020, date à laquelle le monde entier aura les yeux rivés sur Tokyo.
Inauguré en 2014, le FREA abrite des recherches sur le photovoltaïque, l’éolien, l’hydrogène et la géothermie.©AIST FREA
Le grand hall du Fukushima Renewable Energy Institute (FREA) est encore un peu vide, comme le sont plusieurs des salles de ce grand bâtiment flambant neuf. Il longe un champ de panneaux solaires, une éolienne ainsi que des installations de géothermie qui rendent explicite l’objectif de ce démonstrateur à ciel ouvert : donner à voir un pays résolument tourné vers les énergies renouvelables. Avec 260 chercheurs, dont 150 « à demeure », ce centre de l’AIST (National Institute of Advanced Industrial Science and Technology), l’organisme de recherche majeur du ministère de l’Industrie, représente à ce jour la réponse la plus visible de la recherche nippone au drame de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.
Si le Japon a
perdu du terrain
sur les plans
industriel et
commercial, il
n’a jamais reculé
au plan de
la recherche.
Inauguré en avril 2014, le FREA occupe plus de 5 hectares, en lisière de la ville de Koriyama, à une centaine de kilomètres de la centrale, dans une ville qui porte les traces du désastre : appareil de mesure de la radio-activité à la sortie de la gare, logements provisoires pour les déplacés… « Koriyama, nous assure d’emblée Michio Kondo, directeur général de l’institut, a fait beaucoup d’efforts pour nettoyer les sols. » Cet incontestable « coup de communication » marque aussi un retour du pays dans la course aux énergies renouvelables (ENR : solaire, éolien, géothermie, hydro-électricité et biomasse), terrain qu’il a occupé en pionnier pour l’abandonner ensuite.
« Le pays a été précurseur dans les années 1970 avec le programme Sunshine. Mais un coup d’arrêt a été donné en 2004 au financement du photovoltaïque. Depuis, le Japon a relancé des politiques de soutien, mais le mal est fait », explique Pierre Destruel, fin connaisseur de l’archipel et un des principaux artisans de la création du Laboratoire international associé NextPV.
Des cellules à haut rendement
Si le pays a perdu du terrain sur les plans industriel et commercial, se laissant devancer par l’Allemagne et surtout par la Chine, il n’a jamais reculé au plan de la recherche. NextPV, qui travaille sur les cellules solaires à très haut rendement, en est la preuve. Un de ses objectifs : « Faire la démonstration expérimentale de concepts théoriques visant des ruptures technologiques sur les coûts ou sur les performances », résume Jean-François Guillemoles, à la tête du laboratoire depuis quelque mois.Fruit d’une association entre le Research Center for Advanced Science and Technology (RCAST) de l’université de Tokyo et le CNRS, avec d’autres partenaires académiques français, NextPV est aujourd’hui capable de produire une nouvelle génération de cellules photovoltaïques qui atteignent un rendement de 44 %, contre 20 % pour des cellules produites en série. Une performance qui n’aurait pas été possible sans les liens étroits du RCAST avec le monde industriel et les équipements expérimentaux de très haut niveau dont dispose le laboratoire. Un apport essentiel dans un domaine où « si l’on veut faire de la bonne science, il faut de la bonne technologie », rappelle Jean-François Guillemoles.Vers un autre « mix » énergétique
Le 4e Strategic Energy Plan, adopté en avril 2014, décrit un pays déterminé à aboutir à un « mix énergétique », en accélérant « l’introduction aussi loin que possible » des ENR « dans les trois ans à venir », avec l’objectif de parvenir à un taux de 13,5 % d’énergies renouvelables dans la production électrique totale d’ici à 2020 et à un taux de 20 % d’ici à 2030 (en France, celui-ci est d’un peu plus de 14 % à l’heure actuelle).Le Japon y prend clairement ses distances vis-à-vis du nucléaire – la population reste majoritairement hostile au redémarrage des installations – sans y renoncer pour autant. « La dépendance à l’énergie nucléaire sera réduite autant que possible par les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables, ainsi que par l’amélioration de l’efficacité de l’énergie thermique. Dans le cadre de cette politique, nous examinerons avec soin la proportion d’électricité qui devra être fournie par l’énergie nucléaire, compte tenu des contraintes énergétiques du Japon en termes de production stable d’énergie, de réduction des coûts, de réchauffement climatique et de maintien des technologies nucléaires et des ressources humaines », peut-on lire dans le document. Dans un pays où les décisions font l’objet d’un consensus longuement négocié en amont entre les acteurs, privés et publics, cette feuille de route donne le « la ».Nous avonscomplètement revunotre politique
énergétique depuis
le tremblement
de terre et
misons désormais
sur un mix.Bras armé du Premier ministre en matière scientifique, le Council for Science, Technology and Innovation (CSTI) prend la transition énergétique très au sérieux. « Nous avons complètement revu notre politique énergétique depuis le tremblement de terre et misons désormais sur un mix »,assure Kazuo Kyuma, membre du CSTI. Chargé de mettre en musique et de financer la stratégie nationale de recherche du pays, le CSTI vise à abattre les cloisons entre les disciplines, les ministères et les secteurs d’activité. Ce brassage entre recherche et industrie se décline en programmes « SIP » (Cross-Ministerial Strategic Innovation Promotion Program), dotés de 390 millions d’euros en 2014 et dont 40 % relèvent de l’énergie, et en programmes « Impacts », dotés de 430 millions d’euros sur cinq ans. Ceux-ci financent des projets R & D à fort potentiel susceptibles de conduire à des innovations de rupture.Les personnalités choisies pour diriger ces programmes mêlent des représentants des fleurons de l’industrie nippone comme Toyota, Mitsubishi et Hitachi aux représentants des plus grandes universités du pays comme celles de Tokyo, Kyoto ou Yokohama. Adopté pour cinq ans, chaque SIP reste sous l’œil vigilant du CSTI, qui les évalue chaque année. Cinq ans au bout desquels « le Japon doit avoir des réalisations visibles », souligne Kazuo Kyuma. Visibles dès 2020.
Rendez-vous en 2020
Pays hôte des Jeux olympiques cette année-là, le Japon entend utiliser à plein ce rendez-vous pour booster ses efforts. Pas un responsable d’organisme de recherche qui n’ait compris le message. La Nedo (New Energy and Industrial Technology Development Organization), organisme de recherche chargé des questions énergétiques créé au début des années 1980, travaille à cette « société de l’hydrogène » que le Japon entend justement dévoiler au monde entier en 2020. Avec un budget global de 1,17 milliard d’euros, la Nedo a développé plusieurs grands projets autour des énergies renouvelables. Dans ce domaine, elle axe ses efforts sur le photovoltaïque, la biomasse, l’éolien, la géothermie et, bien sûr, l’hydrogène, qui représente à lui seul 8 % du budget de l’organisme.Première voiture à hydrogène produite en série, la Mirai (« futur » en japonais) est sortie des chaînes de production du constructeur Toyota fin 2014. MASANORI INAGAKI/THE YOMIURI SHIMBUN/AFP PHOTO
Tout en travaillant d’arrache-pied à la production d’un hydrogène sans émission de CO2 (à l’horizon 2040), le pays a commencé à produire des voitures à hydrogène. La Mirai, première voiture à hydrogène, est sortie des chaînes de production de Toyota en 2014, et Honda lancera son modèle l’an prochain. Un système de distribution se met en place : il n’existe pour l’instant que quatre stations à hydrogène mais l’objectif, ambitieux, est d’en installer une centaine en 2016 à Tokyo, Nagoya, Osaka et Fukuoka ainsi que le long des autoroutes reliant ces villes, indique Eiji Ohira, directeur du département Fuel Cell and Hydrogen Technology de la Nedo. Le but affiché du gouvernement japonais est de rendre le coût d’achat et d’utilisation des FCV (Fuel Cell Vehicles) comparable à celui des véhicules hybrides à l’horizon 2025. Parallèlement, la Nedo et les équipes de l’AIST œuvrent à la construction d’électrolyseurs – ces « centrales » à hydrogène – qui soient capables de produire de l’hydrogène à bas coût.
Le choix de l’hydrogène
Vu de France, ce pari peut sembler étrange tant notre pays, contrairement à l’Allemagne, reste très loin d’une « société de l’hydrogène ». Rien de tel au pays du Soleil-Levant, où cette option a été prise il y a une trentaine d’années. « Les Japonais suivent une feuille de route claire et structurée. Une fois qu’ils ont fait un choix, ils s’y tiennent », confirme Aliette Quint, directrice de la stratégie, de la réglementation et des affaires externes d’Air Liquide, qui a signé un accord de coopération avec Toyota donnant naissance à une « coentreprise » pour assurer la fourniture d’hydrogène destiné à des véhicules à pile à combustible. Des maisons et des quartiers tout hydrogène ont commencé à apparaître dans le pays. La société japonaise est-elle prête à absorber ces changements majeurs ? Les chercheurs en sciences humaines et sociales, absents du débat, gagneraient sans doute à s’en mêler.Sur le même sujet : « À Fukushima, la population est dans une situation inextricable »13.05.2015, par Louise Lis
https://lejournal.cnrs.fr/articles/au-pays-du-solaire-levant