Le principe de laïcité est-il applicable à l’entreprise (cf. affaire Babylou) ? A la télévision ?
Pour justifier la décision de finalement maintenir le licenciement d’une salariée portant le voile islamique par la direction de Babylou, les magistrats ont considéré qu’il fallait regarder la crèche laïque comme une « entreprise de tendance ». C’est à ce titre qu’elle est en mesure d’exiger la neutralité de ses employés. On peut tirer deux conclusions de cette position : la laïcité est élevée au rang d’idéologie, et elle impose, pour son respect, la neutralité.
Dans le droit européen (directive 27 novembre 2000), l’entreprise de tendance se définit comme une entreprise identitaire dans lesquelles une idéologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressément prônée, où l'objet de l'activité de ces entreprises et la défense sont la promotion d'une doctrine ou d'une éthique. Le texte prévoit un assouplissement du principe de non-discrimination au nom du« droit de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l'éthique de l'organisation ». Concrètement, le juge leur reconnaît le droit d’exiger des salariés (ce n’est pas rien) une adhésion aux valeurs de l’entreprise.
La laïcité symbole d’accueil et de tolérance au cœur de la République change de nature. Présentée comme une conviction elle devient l’une des opinions ou des croyances qu’elle protège. Comment invoquer le respect des croyances pour justifier une décision qui prive ici un salarié, demain un citoyen, de sa liberté de conscience ?
L’Assemblée plénière de la Cour de Cassation, en statuant finalement sur le dossier BabyLoup, a à la fois confirmé l’arrêt de la Cour d’appel (sur le principe d’une neutralité nécessaire dans une entreprise privée gérant une activité de service public : développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes, sans distinction d’opinion politique et confessionnelle) et réfuté le statut d’entreprise de conviction parce qu’elle n’avait pas pour objet de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques. On respire. Enfin, pas tout le monde.
Dans la foulée du premier arrêt, la société PAPREC avait fait parler d’elle en adoptant un règlement intérieur exigeant de ses salariés une neutralité à rapprocher de celle des agents du service public : "Le port de signes ou tenues par lesquels les collaborateurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse n'est pas autorisé." On attend avec impatience un contentieux qui verrait assurément rappelé que la règle en entreprise est la liberté religieuse, et que si des exceptions existent (liées à l’activité de l’entreprise, avec la réserve qu’elles doivent être justifiées et proportionnées : des considérations d'hygiène ou de sécurité p. ex. ou encore l’organisation de l’entreprise ou les impératifs liées à l’intérêt commercial ou à l’image de l’entreprise) aucune restriction générale ne peut en être admise.
En effet, la loi française qui s'attache à lutter contre la discrimination du fait de l'appartenance religieuse d'une personne prévaut également en entreprise. Ainsi, "aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte" (article L1132-1 du code du travail) sur le fondement de sa seule appartenance religieuse. Mais encore, l'article L1321-3 du code du travail dispose que le règlement intérieur ne peut contenir "des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison (... ) de leur appartenance religieuse".
L’enquête que vient de réaliser la société Randstad sur le « fait religieux en entreprise » relance toutefois la question… Placée en fin de consultation, la question sur la définition de la laïcité permet de conclure sur ce qui est véritablement en jeu dans notre société : la définition du principe, et à travers lui celle d’un vivre ensemble interrogé (sinon menacé) par des pratiques religieuses qui apparaissent comme des marqueurs identitaires dans des populations discriminées, marginalisées ou exclues.
Ce constat-même déclenche la mode des "épithètes" associées à la laïcité, et surtout explique le positionnement des formations politiques classées « à droite » puisque revendiquer la protection de l’espace public au nom de la liberté de conscience autorise l’islamophobie. Face à ces positions, et alors que l’anticléricalisme est devenu une cause obsolète (faute de combattants), la gauche ne peut que surenchérir et tenter de défendre la laïcité comme une religion pour en obtenir la protection au nom de la liberté de conscience (d’où la revendication de l’exclusion totale de la sphère publique) et de la promotion d’une société « tolérante » et sans modèles (cf. le mariage pour tous).
A la télévision ?
La diffusion par France TV des émissions religieuses trouve aujourd’hui sa justification dans la loi de 1986 : Le service public a l‘obligation de diffuser une émission religieuse sur son antenne pour permettre aux citoyens d'avoir une approche culturelle et cultuelle. Dans les autres programmes, comme les séries TV, la religion doit être représentée au titre de la diversité. Le CSA veille au surplus à ce que les programmes ne provoquent pas à la haine envers les religions.
Un autre débat a été lancé à l’occasion du projet de passage de KTO sur la TNT gratuite refusé à 3 reprises par le CSA, en raison du caractère « restreint » du public de la chaîne. On pourrait voir dans les pertes sensibles d’audimat de l’émission « Le Jour du Seigneur », comme dans la baisse de fréquentation des églises pour la messe dominicale une confirmation de cet avis de l’autorité de régulation.
à suivre...