« L’amie prodigieuse »
FERRANTE Elena
(Gallimard)
Romance napolitaine. Le Naples de la fin des années 50 de l’autre siècle. L’extrême misère. La violence, celle qu’Elena Ferrante maintient aux frontières de son récit, mais qui suinte et imprègne de manière constante ce roman. Et dans ce contexte-là, l’amitié de deux fillettes, une amitié qui se noue à l’école et qui survit aux aléas de l’existence. Elena, la narratrice, que son institutrice conduira vers le « savoir », d’abord via le collège puis via le lycée en dépit de l’opposition de ses parents (et en tout premier lieu de sa mère). Lila, la rebelle, dont les prédispositions auraient pu l’autoriser à emprunter un chemin similaire, mais qui ne bénéficiera pas sur ce versant conforme de la société de « l’ascenseur social ». Lila se construira cependant en solitaire les bases de son propre « savoir », afin de ne pas perdre le contact avec son amie, afin d’être en mesure de continuer à la fréquenter d’égale à égale. Et Lila, arrivée à l’âge d’adolescence, empruntera un autre « ascenseur social », celui qui sinue au cœur de cette société où quelques-uns se sont arrogé le droit de vie et de mort. Un mariage prématuré mais longuement préparé. Une volonté permanente de se dégager de la gangue, de ne pas reproduire la médiocre et misérable existence de ses parents. Alors qu’Elena prend son essor, reçoit les louanges de ses professeurs, conteste un peu l’ordre dominant avant de très vite réintégrer le moule.
La vie n’est évidemment pas un long fleuve tranquille. Elle l’est d’autant moins dans le contexte si particulier d’une ville où la misère est une donnée récurrente. Les parcours d’Elena et de Lila divergent. Mais elles éprouvent l’une et l’autre l’incessant besoin de se retrouver, au point qu’Elena désertera provisoirement le lycée au moment où Lila entrera dans la phase active de la préparation de son mariage. Un mariage fastueux puisque Lila épousera en grandes pompes un épicier dont la réussite sociale résulte d’habiles compromis passés avec ceux qui régentent la vie du quartier.
« L’amie prodigieuse » est, dans ses descriptions détaillées de la vie d’un quartier populaire, un attachant roman social. Elena et Lila évoluent dans les limites que leur imposent des lois non écrites mais respectées par tous. Chacune à sa façon, elles tentent d’échapper à leur condition de prolétaire. Elena par la scolarité. Lila, en créant pour son cordonnier de père, des modèles de chaussures dont un des prototypes fournira au récit sa provisoire conclusion. Puisqu’il semble évident que ce roman connaîtra une suite, ce que laisse supposer son introduction qui se situe, elle, dans les temps d’aujourd’hui.