Même si la croissance revient (mais si, Sapin, tout joyeux, nous l’affirme), même si, c’est évident, l’avenir du pays semble tout d’un coup se dégager (mais si, Hollande, pétillant, nous l’assure), ce n’est pas une raison pour ne pas faire attention aux petits sous qui échapperaient à la vigilance de nos belles institutions que le monde nous envie (sans jamais nous les copier), à commencer par la Sécurité Sociale.
Il semble en effet que cette dernière, peut-être un peu juste dans ses moyens financiers (allez savoir, parfois, cela arrive), a décidé d’éplucher les ressources financières de ses assujettis histoire de bien vérifier l’adéquation des services qu’elle propose, les factures qu’elle envoie et les moyens réels dont disposent les patients clients assurés bénéficiaires.
Et quand on dit « éplucher », on n’est pas dans l’exagération. Dans le but affiché de lutter contre la fraude, à commencer par celle sur la Couverture Maladie Universelle Complémentaire (CMU-C), la Sécu a donc décidé de vérifier les éléments (notamment financiers) qui lui sont fournis. Pour cela, elle va aller directement à la source, c’est-à-dire sur les comptes bancaires. Oui, vous avez bien lu : la Sécu va directement disséquer les activités bancaires de plus de 5 millions de Français bénéficiant de cette complémentaire gratuite, à partir de leurs comptes courants et de leurs comptes d’épargne. Et oui, cette extension soudaine des pouvoirs de la Sécu d’aller fouiller dans la vie privée des gens est une nouveauté jusque là réservée… à un nombre déjà conséquent d’institutions diverses, comme le fisc (bien sûr), les douanes (évidemment), Tracfin (là encore, logique), ou Pôle Emploi (pourquoi se gêner).
(Si vous avez l’impression que, finalement, vos comptes en banques sont de véritables moulins où tout le monde peut regarder ce qui s’y passe, c’est tout à fait exact. Bon réveil en France.)
À la décharge de la Sécu, cette opération fait suite au constat alarmant qu’elle avait pu faire en menant une opération par sondage en 2013 et 2014 sur un petit millier de comptes, qui avait révélé près de 10% d’ « anomalies », c’est-à-dire des décalages entre les revenus déclarés et les mouvements constatés sur les comptes en question. En outre, d’après Le Parisien, la Sécu aurait constaté en 2014 une augmentation de 17% des fraudes détectées, pour près de 200 millions d’euros.
Diable, diable, des gens frauderaient donc ce système magnifique, et en plus ils seraient en augmentation ? Voilà qui pourrait paraître étonnant, dans un pays qui s’est pourtant ouvertement déclaré solidaire, fraternel, festif et citoyen. Et surtout, on ne peut s’empêcher de noter que la traque de la fraude s’intensifie justement en cette période où les fonds viennent tragiquement à manquer : peut-être l’organisme est-il désespérément en recherche de fonds, peut-être tenterait-il ici de sauver ce qu’il peut encore sauver, quitte à recourir à des moyens de plus en plus drastiques pour y parvenir ? Dès lors, à quand les brigades d’intervention rapide de la Sécurité sociale, qui débarqueront à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, pour chopper rudement le fraudeur, lui coller quelques coups de tonfa dans les rotules, et l’emmener dans les geôles festives de la République solidaire du Bisounoursland ? Après tout, ce n’est qu’une ou deux étapes après l’épluchage des comptes bancaires…
(Au passage, on ne peut que s’étonner des misères que fait la Sécu — au travers de ses sbires habituels, RSI, URSSAF et compagnie — pour empêcher par tous les moyens les individus de quitter, purement et simplement, ce système, à leur demande : tous ces moyens dévolus à traquer ceux qui veulent la quitter sont autant de moyens en moins dans la lutte contre ceux qui font tout pour en bénéficier…)
Ceci impose tout de même de comprendre pourquoi cette fraude a si massivement augmenté récemment. Bien sûr, on peut mettre une partie de cette augmentation sur le fait qu’à présent, la Sécu regarde effectivement qui elle asperge de ses largesses, ce qu’elle ne faisait que de façon très épisodique et détendue jusqu’alors.
Mais indépendamment de cette nouvelle attention, on peut aussi noter d’autres éléments justifiant cette hausse.
Ainsi, s’il y a fraude, c’est peut-être parce que cette administration est très mal organisée et bien trop complexe : plus on a de règles et de conditions, plus l’institution est bureaucratique et lente à réagir, et plus il est dès lors facile de passer entre les mailles du filet et de profiter d’avantages indus. D’autre part, avec la multiplication des règles, on multiplie les cas épineux ; avec l’augmentation des lois, on augmente les coupables. Il est donc souvent bien plus facile de frauder que de rester dans une légalité dont la définition est de plus en plus complexe à déterminer
C’est aussi sans doute parce que la fraude est actuellement très tentante : à la très faible probabilité de se faire attraper, on doit ajouter la lenteur de l’action de police et de justice en cas de fraude repérée, des sanctions particulièrement légères dans un pays rompu au laxisme – pour rappel, les peines de prison ferme en dessous de deux ans se traduisent très rarement par de l’incarcération effective, et coller une amende financière à quelqu’un d’insaisissable est du plus haut comique. Enfin, il ne faut pas oublier que le bénéfice de la fraude peut être particulièrement juteux.
Cette fraude existe aussi parce qu’il y a une totale déconnexion entre ceux qui payent, et qui ne peuvent absolument pas échapper à la facture, et ceux qui bénéficient des services fournis et qui eux, ne verront jamais cette facture. La responsabilisation étant parfaitement et totalement absente, il n’y a aucune chance de ramener à la raison ceux qui se trouvent sous les robinets, par ailleurs ouverts en grand avec un contrôle jusqu’à présent minimal.
Enfin, cette fraude explose parce que plus personne ne croit à la pérennité du système, essentiellement basé sur un mensonge, celui que l’État et la collectivité peuvent subvenir à tous les besoins, savent mieux que chaque individu ce qui est bon pour lui, et qu’ils peuvent donc se substituer au libre marché pour dorloter chacun de nous tant et plus. Et si ce mensonge ne tient plus, si personne ne fait même plus mine d’y croire, c’est parce que les signes de décadence, de putréfaction et de déliquescence s’accumulent maintenant avec ostentation. Dernièrement, l’écrasement catastrophique de la LMDE en plein marécage financier est une parfaite illustration de ce qui attend tout le système, bâti sur les mêmes principes, les mêmes bidouilles, les mêmes mensonges.
Il n’y a pas le moindre doute que cette manœuvre de la Sécu visant à mettre son nez directement dans les affaires des gens, n’est que l’aboutissement d’un processus de déchéance commencé il y a près de 70 ans, depuis la collectivisation des retraites et de la santé en France, et qui se terminera par la mise en coupe réglée de tous et de chacun, pour camoufler à tous prix l’effondrement complet du système sous son propre poids, ses iniquités et une bureaucratie obèse.
Cette Sécu est foutue. Et c’est tant mieux.
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