Nanni Moretti revient sur la Croisette avec Mia Madre, un hommage émouvant à la figure maternelle.
Nanni Moretti et Margherita Buy dans Mia Madre
Trois ans après avoir présidé le jury, Nanni Moretti revient cette année à Cannes pour présenter sa nouvelle réalisation, Mia Madre. En filmant les émotions de deux enfants face au déclin de santé progressif de leur mère vieillissante, le cinéaste italien met en scène un récit universel, mais aussi forcément très personnel. D’un côté, il explique la douleur de la perte d’un parent, en l’occurrence celle d’une mère. De l’autre, le réalisateur aborde avec humour son rapport avec le cinéma, en particulier sa place et son rôle dans la société, et les relations entre l’équipe de tournage, les comédiens et le réalisateur lui-même. Ce sont en fait deux films qui composent Mia Madre. L’un s’attache au quotidien professionnel de l’héroïne, réalisatrice (qui pourrait être une projection de Moretti) ; l’autre à sa vie personnelle et intime, et plus particulièrement aux relations qu’elle entretient avec sa mère mourante. Ces deux parties côtoient chacune un registre différent. Il y a un peu de comédie, avec des scènes hilarantes que l’on doit au talent de John Turturro, et une part de drame, qui déclenche au final l’émotion. Si l’on pourrait se sentir parfois déboussolé à jongler entre des scènes légères et d’autres plus graves, le cinéaste nous attache pourtant habilement à ses personnages, et contourne un écueil qui aurait été fatal au charme de l’œuvre : le mélodrame larmoyant.
Avec une mise en scène sans fioriture et sans grand déballage de savoir-faire, Nanni Moretti fait progresser graduellement son film, sans lenteurs inutiles et en prenant soin de conserver une part d’authenticité. Le montage de certaines scènes oniriques, peut parfois sembler sec et brut, voire légèrement porter à confusion, mais il participe néanmoins à la sobriété de la mise en scène et au choix assumé de la simplicité technique et visuelle. Il n’y a pas de grands effets de caméra. Il n’y a pas de grands choix photographiques. Seulement un objectif, qui suit au plus près le regard vide d’une héroïne happée par le poids des tourments ou l’œil pétillant d’un acteur mégalo et mythomane dansant librement sur un plateau de tournage. L’héroïne, campée avec justesse et brio par Magherita Buy, se bat pour continuer de vivre malgré des situations qui la dépassent : une vie affective proche du néant, une fille à élever et orienter, un tournage qui n’avance pas et une mère qui s’efface peu à peu et emporte avec elle de nombreuses certitudes. Malgré le déni, les doutes prolifèrent. Le cinéma, qu’elle pensait pouvoir changer le monde, devient à présent un objet de préoccupation, voire de souffrance. Le refuge maternel, qui jusqu’ici procurait un sentiment de sûreté, s’effondre peu à peu, et la laisse submergée, « inondée » par toutes ces remises en question, ou plutôt par ce grand bout d’elle-même qui dévale. Que reste-t-il donc pour continuer de vivre ? Des mots, sages. Ceux d’une mère qui n’a jamais aimé écouter le passé, et qui a maintenu son regard vers les jours à venir. Tous les sujets effleurés par Nanni Moretti gravitent, de près ou de loin, autour de la figure maternelle. Mia Madre devient ainsi un hommage émouvant et lumineux à toutes nos mères.